Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/968

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’affaiblir, les combats des seigneurs entre eux cessèrent presque entièrement : ce fut l’époque dite de la trêve de Dieu, et elle était bien nommée, car ce n’était pas la paix, mais une simple suspension d’armes. Les combats singuliers recommencèrent en effet de plus belle sous les règnes de Philippe-Auguste, de Louis VIII et de Louis IX. Chose à remarquer, les évêques permettaient les duels alors[1] ; bien plus, les prêtres eux-mêmes étaient autorises à combattre. On lit dans les registres d’un concile de la province de Normandie, tenu à L’Isle-Bonne sous le règne de Philippe-Auguste, que «… les prestres ne se doivent combattre en duel sans la permission de leur évesque, » preuve que cette autorisation pouvait leur être accordée. Le sage Louis IX lui-même, dans la première année de son règne, voulut qu’on assignât devant lui plusieurs causes de gages de bataille ; on peut citer entre autres, à ce propos, l’affaire d’un chevalier français, dont l’histoire n’a pas gardé le nom, contre le comte de La Mark, Hugues de Lusignan, dit le Brun, « accusé, suivant la chronique, de foy mentie, de trahison et de plusieurs autres crimes énormes. » Cela se passait en 1243. Cependant, par une ordonnance de 1260, le saint roi se décida à abolir les duels. « Nous défendons, dit cette ordonnance, partout notre roiaume les batailles en toutes querelles, et au lieu de batailles nous mettons preuves par chartes et tesmoins. » Cette loi, reproduction presque textuelle de celle qu’avait rendue Charlemagne quatre cents ans auparavant, ne fut pas mieux respectée ; Louis IX mort, on n’en tint plus compte.

« Sous le règne de Philippe le Hardy, fils de sainct Louis, dit un ancien auteur, cette infernale coustume des duels reprit nouvelle force, de manière que la Fiance étoit de tous costez pleine de sang et de carnage de la noblesse qui se massacrait et s’entr’égorgeoit ainsi que bestes fauves, et la moindre parole de travers se vuidoit les armes à la main. » Ne pouvant empêcher les duels, Philippe voulut pourtant essayer de les restreindre, et fit dans cette pensée, avec le sire de Beaumanoir, le traité des cas où le duel est permis, en les limitant à quatre, et le défendant sous tout autre prétexte et dans toute autre circonstance. En 1303, nouvelle interdiction des combats singuliers d’une manière absolue et sous peine de mort par Philippe

  1. « L’an 1100, un duel fut ordonné, par Geoffroy du Magne, évêque d’Angers, entre les moines de L’abbaye de Saint-Serge d’une part et un nommé Engelard avec ses consorts de l’autre. » L’an 1301, par arrêt du parlement de Paris, il est jugé que l’évêque de Saint-Brieux ayant adjugé gage de combat contre l’ordonnance du roi dans l’affaire entre Guillaume de Bois Rousseau et Jehan de Pleuveudrin, qui s’étaient injuriés, ses procédures seraient cassées et annulées, « attendu qu’en matière d’injures il n’écheoit gage de bataille. » (Chron. de Belleforêt et Arrêts des parlemens.