Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/966

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi ne fut le seul coupable, et que le dévouement de La Chasteigneraye pour Henri ne fut la raison qui lui avait mis les armes à la main. Il ne fallait donc pas laisser continuer l’affaire, de crainte qu’elle ne devînt irréparable. On est forcé de reconnaître, — et tous les témoignages historiques que j’ai consultés s’accordent pour le faire entendre, — que Henri joua un triste rôle dans cette histoire ; plusieurs écrivains de l’époque ont même été jusqu’à prétendre que la main de Dieu s’était montrée dans le genre de mort du roi, qui périt dans un combat singulier[1].

Après le duel, Monlieu alla faire ses prières à Notre-Dame de Paris ; il remercia la sainte Vierge, sa bonne patronne, de la protection qu’elle lui avait accordée ; il suspendit ses armes dans l’église, où elles demeurèrent longtemps. On ne doit pas oublier de dire, à sa louange, qu’avant de consentir à monter à la tribune du roi, où Henri l’attendait pour lui adresser ses félicitations, le brave Jarnac s’assura que La Chasteigneraye était sorti de la lice. Ronsard a célébré la conduite de Monlieu dans une de ses odes. Le comte d’Aumale fit élever un tombeau magnifique à La Chasteigneraye, qui mourait à vingt-huit ans, laissant une fille unique âgée de trois ans, et qui se maria depuis avec M. de L’Archaut[2]. Quant à Mme de La Chasteigneraye, elle épousa en secondes noces M. de La Force. Henri, désespéré de la mort de son favori, jura qu’il n’autoriserait plus jamais d’épreuves en camp mortel. Aussitôt après le combat, il quitta Saint-Germain et vint demeurer à Paris, chez Baptiste Gondy.


IV

Telle fut en France la dernière application des lois lombardes. Aux combats judiciaires succéda bientôt la licence des duels particuliers, qui, pendant deux siècles, a plus fait verser de sang en Europe, et surtout en France, qu’il n’en avait été répandu dans les duels en champ clos depuis leur origine. Quoi qu’on pense de cette législation singulière, qui pendant plusieurs siècles a régi le duel en France, le

  1. C’est-à-dire dans un tournoi. On fit ce pentamètre, à l’occasion de l’événement, sur Henri, qui était brave comme son père et avait échappé 8 la mort dans bien des combats :
    Quem Mars non rapuit, Martis imago rapit.
  2. On trouve, dans le récit des fêtes qui eurent lieu à la cour en 1581, lors du mariage du duc de Joyeuse avec Mlle de Vaudemont, que Mme de L’Archaut dansa avec M. de Joyeuse.