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personne ne doutait que Vivonne ne remportât facilement la victoire[1]. Le spectacle empruntait à la présence du roi et de la famille royale une solennité inusitée ; aussi le connétable ne négligea-t-il rien pour suivre avec toute la pompe possible le cérémonial prescrit pour la circonstance par l’ancienne législation.


III

Au lever du soleil, le 10 juillet 1547, le héraut d’armes Guienne cria aux deux extrémités de la lice :

« Aujourd’huy, dixiesme de ce présent mois de juillet, le roy, nostre souverain seigneur, a permis et octroyé le camp libre et seur, à outrance, à François de Vivonne et au sieur de Monlieu, deffendant et assailly, pour mettre fin par armes au différent d’honneur dont entr’eux est question.

« Parquoy je fais à sçavoir à tous, de par le roy, que nul n’ait à empescher l’effet du présent combat, n’y aider ou nuire à l’un ou à l’autre des combattans, sur peine de la vie. »

La lice était double, l’espace vide entre la première et la seconde barrière était occupé par les gens du connétable et les archers de la garde du roi. Il y avait à chaque extrémité du camp une porte pour laisser passage aux combattans. Il y avait une porte aussi au-dessous de la tribune du connétable. À la droite de cette tribune, quatre sergens de la prévoté et l’exécuteur des hautes œuvres, avec force cordes, faisaient prévoir les outrages sinistres que la loi réservait au cadavre du vaincu. Sous la tribune du juge du camp, une table couverte d’un drap d’or supportait un missel, un crucifix et un te igitur ; un prêtre se tenait silencieux à côté.

Aussitôt après le ban ou publication du héraut, Vivonne sortit de son hôtel, accompagné de son parrain et de ses amis, au nombre de plus de cinq cents, vêtus de ses couleurs, blanc et incarnat. Devant lui, on portait son écu et son épée, et, plus en avant, l’image de saint François sur une bannière ; le cortège était précédé de tambourins et de trompettes sonnant des aubades. La colonne fit le tour de la lice, ce qui s’appelait honorer le dehors du camp ; puis l’écu de Vivonne, peint de ses armes, fut attaché à un pilier planté à la

  1. Telle était la réputation de la Chasteigneraye comme tireur d’armes, que Brantôme raconte qu’un officier piémontais ayant porté la nouvelle de sa mort dans sa compagnie, un de ses camarades lui donna un démenti, s’écriant « qu’il estait impossible qu’un si vaillant homme et qui avoit les armes si bien en main eust été tué ainsy d’un sien non pareil ! » Ils se battirent, et le porteur de la nouvelle fut occis. “Quelle bizarrerie de ce capitaine ! ajoute Brantôme, et quelle obligation mon oncle lui en debvoit dans l’autre monde ! »