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tout y était mis au pillage : « les potaiges et entrées de tables respandus, mangés et dévorés par une infinité de harpaille ; la vaisselle d’argent de cuysine et riches buffets, empruntés de sept ou huit maisons de la cour, dissipés, ravis et volés avec le plus grand désordre et confusion du monde ; et pour le dessert de tout cela, cent mille coups de hallebarde et de baston départis sur tous ces gens, Suisses et valets de cour, par les capitaines et archers des gardes et prévost de l’hostel qui y survindrent[1]. » C’était la petite pièce avant la tragédie ; mais revenons aux affaires sérieuses.

Excepté M. de la Roche-sur-Yon[2], aucun prince du sang ne demeura près du roi en cette circonstance ; tous suivirent M. de Vendôme[3], qui s’était retiré, blessé que Henri lui eût interdit de servir de parrain à Monlieu. L’histoire ne dit pas si Catherine de Médicis était présente au combat ; mais la belle Diane, la sœur du roi, sa tante Marguerite de Valois, les princesses et la plupart des dames de la cour n’avaient eu garde de manquer l’occasion d’assister au sanglant spectacle qui se préparait.

Comme on le verra, Jarnac au dernier moment, avait décidé que le duel aurait lieu à pied ; c’était au surplus depuis longtemps la coutume que l’on suivait pour les rencontres. À en juger par la longue liste des dames et des filles d’honneur de la reine et des princesses, telle que nous l’ont laissée les contemporains, on doit supposer que les tribunes étaient brillamment garnies. Une foule de seigneurs et de braves gentilshommes, qui tous s’étaient distingués dans les armées et firent parler d’eux plus tard dans les guerres de religion, que les loisirs de la paix avaient ramenés à la cour, étaient présens au combat. Le comte d’Aumale, le prince de La Roche-sur-Yon, les maréchaux de Saint-André et de Sedan, MM. de Brissac, de Biron, de Tavanne et de Montluc, les cinq fils du connétable[4] et le marquis de Villars, son frère, l’amiral de Châtillon, MM. D’Esse de Charny, de Brion, de Vieilleville, de Bourdillon, et tant d’autres guerriers illustres par leur naissance, leur valeur, attendaient avec émotion l’issue de cette rencontre, depuis si longtemps prévue.

Parmi cette foule de courtisans, où Jarnac comptait fort peu d’amis,

  1. Voyez les Mémoires de Vieilleville.
  2. Charles de Bourbon.
  3. François de Vendôme, vidame de Chartres, premier prince du sang.
  4. Malgré les prières ni les exhortations de François Ier mourant, Henri, aussitôt monté sur le trône, avait rappelé le connétable de Chantilly, où il était, et lui avait donné la position qu’occupait l’amiral d’Annebaut, lequel fut à son tour remercié et éloigné des affaires ; M. d’Aumale avait remplacé au conseil le cardinal de Tournon ; enfin M. de Saint-André était arrivé à la plus grande faveur. Vivonne avait reçu aussi une marque non équivoque de l’amitié de son maître : le roi l’avait nommé colonel-général de l’infanterie française.