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politique, le pouvoir dut imposer aux esprits leurs tendances, aux consciences leur foi, aux mœurs leurs allures à la fois héroïques et soumises. Ce n’est pas une des preuves les moins éclatantes de la force des situations que le développement graduel de cette grande institution à partir de la loi du 10 mai 1806, qui proclame l’établissement de l’université, jusqu’aux décrets organiques de 1811, qui, en la réglementant dans ses détails, achevèrent la transformation d’un vaste enseignement public en une sorte de pédagogie militaire. Si le système impérial conduisait là en matière d’enseignement, quelle ne devait pas être sa portée en matière de religion ! La suzeraineté de la France sur l’Europe, formule dans laquelle Napoléon avait encadré sa pensée, n’était pas moins incompatible avec l’indépendance spirituelle du pape qu’avec sa souveraineté temporelle. Si l’état romain était le complément nécessaire du territoire de l’empire, l’étroite dépendance de la papauté dans l’exercice de son pouvoir religieux était aussi la conséquence de la manière dont on comprenait à Paris la subordination des forces morales aux forces matérielles. Lorsqu’à la première hésitation d’un grand cabinet on lançait sur lui l’armée d’Iéna, l’armée de Wagram, ou l’armée de Borodino, était-il possible de reculer devant les résistances calmes, mais obstinées d’un vieillard ? Il fallait que la papauté, dans son action sur les consciences, concourût résolument au même but que le grand empire dans son action sur les peuples, ou bien qu’elle disparût devant lui. Il n’y avait de place dans l’Europe napoléonienne que pour un pape prisonnier à Savone ou pour un pape splendidement établi à Paris sur le pied d’un grand vassal de l’empire. On osa caresser un tel rêve, et ce dernier outrage ne fut pas épargné à l’adorable simplicité du captif.

Deux historiens graves, également sympathiques au héros dont ils ont raconté la vie, ont envisagé les démêlés de l’empereur Napoléon avec Pie VII sous un jour tout différent. M. Bignon semble n’y attacher aucune importance politique ; il n’hésite pas à attribuer tous les torts au pontife, dont le mauvais vouloir contrariait dans la basse Italie les projets de l’empereur, et qui résistait avec une invincible obstination à ses sommations réitérées. M. Thiers établit au contraire que le décret par lequel fut abolie la puissance temporelle du pape[1], et qui ne précéda que de peu de semaines la scène nocturne du Vatican, fut l’origine d’un immense discrédit moral ; il montre l’autorité d’un grand homme venant se briser contre un acte qui rappela en l’aggravant le souvenir de toutes ses fautes, et c’est au double attentat de Rome et de Bayonne qu’il fait remonter l’universelle

  1. Décret du 17 mai 1809.