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sur la tête de sa sœur Caroline, et qu’il introduisait le brillant époux de cette princesse au sein de la confédération rhénane.

Ainsi se dessinaient les premières lignes du vaste plan d’après lequel la famille Bonaparte était destinée à devenir l’instrument de la transformation politique de l’Europe en même temps que le gage de sa subordination aux intérêts du grand empire. Un pas plus décisif encore fut bientôt fait vers l’accomplissement du programme napoléonien par l’appel du prince Louis au trône de Hollande. Ce pays reçut la monarchie décrétée par le vainqueur d’Austerlitz sans plus de résistance et sans plus d’espoir que les diverses transformations imposées par la France aux peuples qui gravitaient dans son orbite. Chaque lien nouveau avec celle-ci l’enchaînait plus étroitement en effet à un système de guerre maritime aussi contraire à ses traditions qu’à ses intérêts. Dépouillée de ses vastes possessions coloniales, privée de la faculté de promener son pavillon sur toutes les mers, écrasée par une dette énorme, la Hollande ne fut plus qu’une province de l’empire, conservant sous les dehors d’une soumission forcée l’intégrité de ses regrets et de ses espérances. L’établissement d’une royauté purement française dans ce pays, ne modifiant pas notablement la situation antérieure, n’eut guère pour résultat que de finir enfin le long mensonge qui depuis la paix de Lunéville avait été, pour la Hollande aussi bien que pour la Suisse et pour l’Italie, la cause principale des difficultés survenues entre la France et les cabinets étrangers.

Mais les développemens de la pensée impériale allaient bientôt conduire, par une conséquence plus rigoureuse encore, à d’autres innovations dans les rangs secondaires de l’ordre social et surtout dans la condition des chefs de l’armée, instrumens principaux de cette pensée. On ne pouvait incessamment user de la guerre et de la conquête pour constituer des monarchies destinées à faire cortège au trône impérial, sans être bientôt amené à tenter la création d’une sorte d’aristocratie militaire : celle-ci n’était pas moins nécessaire pour maintenir le dévouement de l’armée que pour servir de support contre l’étranger à l’établissement gigantesque imposé à l’Europe vaincue, mais non résignée. C’est ainsi qu’on se trouva entraîné vers des institutions incompatibles avec l’idée d’égalité civile, et conduit à réagir pour consolider son œuvre contre le principe même qui l’avait fondée.

Lorsque l’héroïsme de ses soldats mettait à la disposition de leur glorieux empereur un trône par campagne, quand la pointe de leurs baïonnettes supportait seule en réalité le pavois du haut duquel il dominait le monde, il fallait bien que leurs chefs, défenseurs naturels d’un empire tout militaire, reçussent leur large part dans les dépouilles de