Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régulière dans les conditions normales de l’équilibre européen. Mais lorsqu’on se tenait pour appelé à ressusciter l’empire d’Occident, en transportant le sceptre impérial de la Germanie à la France, ces actes ne sont que les incidens fatals d’une situation poursuivie à tout risque. Ne fallait-il pas que la monarchie de Frédéric II descendît aussi bas dans l’opinion de l’Allemagne que celle de Marie-Thérèse, pour faire place à ces nouvelles souverainetés vassales de la Bavière, de la Saxe et du Wurtemberg, qui, pour prix d’un titre royal, consentirent un moment à abdiquer la patrie ? Y avait-il à s’étonner que le vieux sang des rois fût renouvelé comme l’était la face du monde, et lorsqu’on eut pris la résolution de faire du Capitole le berceau de l’héritier du grand empire, ne fallait-il pas de gré ou de force écarter de l’Italie la seule puissance qui trouvât dans sa conscience le devoir de protester au sein de l’universel silence ? S’il existait enfin, adossé au pôle, un vaste état dont la force comme le prestige fussent encore intacts ; si cette puissance, se refusant à seconder plus longtemps les mesures de répression commerciales décrétées contre l’Angleterre, pouvait devenir un jour l’espérance des gouvernemens aux abois et des nationalités frémissantes, n’était-il pas politique de la placer entre une soumission absolue ou une guerre à mort, et de se confier une fois de plus à la fortune, afin d’attester au monde que l’arrêt du destin était désormais sans appel ? Les fautes de Napoléon sont donc bien moins des accidens de sa vie que les résultats mêmes de l’idée éclose au soleil d’Austerlitz et poursuivie de victoire en victoire, de capitale en capitale. Ce n’est pas aux fautes de l’empire qu’il faut demander le secret de sa chute : c’est jusqu’aux bases de l’édifice qu’il convient de pénétrer pour l’apprécier dans sa grandeur comme dans sa fragilité. Voyons d’abord ce vaste plan se dérouler avec un ensemble irrésistible de 1805 à 1810 ; voyons-le commencer dans le palais des césars de l’Allemagne pour finir dans ceux des tsars de Russie, et aux innombrables intérêts qu’il refoule, aux indomptables sentimens qu’il violente, on devinera la portée de la réaction dont l’incendie du Kremlin devait donner aux peuples le terrible signal.


II

La paix de Presbourg dépouilla l’Autriche de tout ce qu’elle possédait encore en Italie en vertu du traité de Campo-Formio. Elle perdit l’état de Venise avec toutes ses provinces de terre ferme. La France devenait ainsi limitrophe de la Turquie, et la distinction entre l’empire français et le royaume d’Italie n’était plus énoncée qu’avec un vague d’expression qui la rendait manifestement illusoire.