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des royautés parmi lesquelles il va prendre place. L’effet moral de la catastrophe de Vincennes a décidé la Prusse à rompre une négociation qui tendait à lier à l’accomplissement des projets de la France les intérêts de son ambition peu scrupuleuse. La cour de Pétersbourg, si dévouée au premier consul aux derniers temps de Paul Ier, a passé, depuis l’avènement d’Alexandre, à un état de réserve qui laisse deviner de prochaines hostilités. Nulle part l’attentat d’Ettenheim n’a produit une plus vive émotion ; celle-ci s’y est traduite sous des formes dramatiquement insultantes, et, dans leurs récriminations réciproques, les deux gouvernemens en sont venus à opposer au souvenir de la funèbre nuit du 21 mars celui de l’assassinat d’un père qui n’a pas encore été vengé. Si l’Autriche, que ses revers ont rendue prudente, n’étale pas ses sentimens secrets, si elle semble mettre de l’empressement à reconnaître le titre impérial que va prendre le fier soldat destiné à faire bientôt tomber de son front le diadème du saint empire, c’est qu’elle entend différer sa vengeance, afin de la rendre plus sûre. Se faire payer son silence sur l’acte d’Ettenheim, commis dans la circonscription de l’empire, au prix d’une large tolérance pour toutes les innovations qu’elle entreprend en Allemagne, et pour les violences qu’elle y consomme à l’occasion des sécularisations germaniques ; réorganiser son armée tout en renouant secrètement ses liens avec l’Angleterre et avec la Russie ; être enfin l’âme d’une troisième coalition avant d’en devenir le bras : telle est la politique, d’ailleurs fort naturelle, de la puissance qui, à la douleur d’avoir perdu les provinces belgiques, voit ajouter l’affront du sacre d’un empereur français en pleine cathédrale de Milan. Toutes les grandes cours avaient donc au fond du cœur, dès l’avènement de la monarchie napoléonienne, le sentiment d’inquiétude qu’elles ont entretenu jusqu’au jour de sa chute.

Mais qu’on me permette de le dire : la plupart des historiens et l’auguste causeur de Sainte-Hélène lui-même semblent s’être trompés, les uns dans leurs appréciations, l’autre dans ses épanchemens calculés, sur le véritable caractère de cette antipathie originelle. Le repoussement européen contre l’empire provenait bien moins du fait de cet établissement lui-même que de la manière dont la monarchie nouvelle comprenait déjà sa situation au dehors. Il tenait non point à la révolution opérée dans la forme du gouvernement français, mais aux prétentions que le chef de ce gouvernement avait révélées avant de monter au trône, et qui se manifestèrent bien plus hautement encore au lendemain de cette transformation. Pas plus au commencement de ce siècle que de nos jours, les préventions aristocratiques ne dominaient les intérêts, et l’Europe l’avait prouvé en accueillant avec un chaleureux assentiment les miracles de ce gouvernement