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coquetterie, tantôt celle de l’ambition, ce besoin de briller et de paraître, ce désir immodéré de la louange qu’on appelle flatteusement la passion de la gloire, ce goût de l’élévation et de la grandeur dont elle s’accuse elle-même dans la première lettre qu’elle écrit en 1660 à Mme de Sablé. Contre cet instinct superbe qu’elle tenait de sa mère et qu’elle partageait avec son frère, elle invoquait toutes les mortifications, et s’exerçait à les supporter avec la même magnanimité qu’elle avait montrée autrefois au milieu des plus grands périls.

Au risque d’être un peu long, donnons quelques exemples de l’incroyable humilité que le christianisme enseigna à Mme de Longueville, et qui a été sa gloire suprême.

Un jour qu’elle avait en vain demandé au roi quelque grâce pour une personne qui l’intéressait, car elle ne demanda jamais rien pour elle-même, elle fut si vivement émue du refus du roi, qu’oubliant toutes ses résolutions, et emportée par sa nature, il lui échappa, dit un auteur contemporain[1], « des paroles fort indiscrètes et fort peu respectueuses, pour ne rien dire de plus. » Un seul homme les avait entendues, et ne lui fut pas fidèle. Le roi le sut et en parla au prince de Condé, qui l’assura qu’on l’avait trompé. « Je l’en croirai elle-même, » répondit Louis XIV. Le prince va voir sa sœur, qui ne lui cache rien. Il s’efforce de lui persuader qu’en cette occasion la sincérité serait une sottise, et qu’elle fera même plus de plaisir au roi de nier que d’avouer sa faute. « Voulez-vous, lui dit-elle, que je la répare par une plus grande, non-seulement envers Dieu, mais envers le roi ? Je ne saurais gagner sur moi de lui mentir, quand il a assez de générosité pour m’en croire et s’en rapporter à moi. Ce gentilhomme a eu grand tort, mais après tout il ne m’est pas permis de le faire passer pour un imposteur et un calomniateur, puisqu’en effet il ne l’est pas. » Le lendemain, elle alla trouver le roi, et, tombant à ses pieds, elle lui confessa la vérité.

Lorsque ce malheureux Bussy, qui, avec plus de conduite et en cultivant mieux ses belles facultés naturelles, eut pu devenir à volonté un grand homme de guerre ou un grand écrivain, après s’être perdu auprès de Turenne pour des chansons, mit le comble à toutes ses imprudences en laissant circuler le manuscrit de l’Histoire amoureuse des Gaules, comme La Rochefoucauld avait fait celui des Mémoires, Condé, poussé, dit-on, par Mme de Châtillon, fort maltraitée dans cet ouvrage, témoigna publiquement sa colère de l’insolence de l’auteur. Il n’en fallait pas davantage. Un des gentilshommes de Condé, pensant plaire à son maître, fit armer tous les domestiques

  1. Pélisson, dans Villefore, dont nous empruntons le récit.