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y avait un petit chemin, un stradotto tortueux et solitaire qui conduisait jusqu’au village de La Rosâ, et de l’autre extrémité allait aboutir à la grande route de Cittadella. Ce chemin était bordé d’un côté par le talus du parc et par un ruisseau qui en baignait les contours, et de l’autre côté par une haie vive, touffue et fort irrégulièrement plantée, qui déversait en tous sens sa riche végétation. Des rameaux d’aubépine et de mûrier sauvage s’échappaient de la haie, qui ne pouvait les contenir, et allaient s’entrelacer aux branches folles des arbres, formant ainsi une voûte de verdure qui préservait le chemin de l’ardeur du soleil. Une grande allée traversait le parc, et au fond de cette avenue on apercevait le toit de la villa où les paons étalaient leur plumage d’or, remplissant les échos de leurs cris plaintifs.

Par une belle matinée de printemps, Lorenzo se promenait dans la grande allée du parc de la villa Cadolce. Le cœur rempli d’inquiétude et de cette fièvre de bonheur que donne la première atteinte du mal sacré, il avait quitté brusquement sa chambre, et marchait sans but devant lui, respirant à longs traits l’air fluide et chargé d’arômes que l’aurore répand autour d’elle, comme pour annoncer l’arrivée du jour. Les feuilles des arbres, encore trempées de rosée, jetaient mille reflets divers qui égayaient le regard et provoquaient une délicieuse sensation de fraîcheur. Les oiseaux babillaient dans les bocages, et du milieu de leur concert, toujours le même et pourtant toujours nouveau, s’élevaient quelques notes pénétrantes qui semblaient révéler une joie plus vive, une sensibilité plus exquise. Je ne sais quel poète indien a dit que le langage des oiseaux fut compris un jour par un couple d’amans qui promenaient leur bonheur à l’ombre des forêts, et qu’ils parvinrent à s’entretenir avec les plus éloquens de ces chantres merveilleux. Cette fiction ingénieuse, comme toutes celles de la poésie primitive, renferme une observation profonde, et l’histoire touchante de Philomèle et de Progné nous offre, ainsi que toutes les métamorphoses de la fable antique, un témoignage de cette croyance universellement répandue, que l’amour est la source de la poésie, de la musique et de la science des choses divines.

Le soleil s’élevait sur l’horizon et commençait à traverser ces légers nuages du matin qui l’entourent comme une auréole. Une atmosphère déjà tiède, toute saturée de parfums, d’étincelles et de bruits joyeux, remplissait l’âme du jeune Lorenzo d’un bien-être ineffable. Arrivé au bout de la grande allée, il franchit le ruisseau qui servait de limite au parc, prit le chemin qui conduisait à La Rosâ et se perdit sous des arceaux de verdure. La fleur blanche des cerisiers jonchait le chemin, et dans les éclaircies des buissons lumineux on voyait reluire et s’agiter des myriades d’insectes, des papillons et de timides fauvettes qui voltigeaient autour de leur couvée