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la cour, qui redoutait toujours son humeur entreprenante. La cour se trompait. Une fois que le mobile tout à fait particulier qui poussa Mme de Longueville dans la fronde lui eut manqué, elle était redevenue ce qu’elle était naturellement, la personne du monde qui avait le moins de goût pour les affaires et la politique :


« De Coulommiers, ce 31 décembre 1660.

« Comme j’ai reçu deux de vos lettres en passant à Paris, et que je n’eus que le temps de les lire et non pas celui d’y faire réponse, je le fais en arrivant ici. Je commencerai par vostre lettre de gronderie, et je vous dirai que vous apprenez par le public, et non pas par moi, que je devois passer auprès de Paris, parce que je ne pouvois pas déclarer ce dessein devant que M. de Longueville l’eût approuvé, et que l’on souhaitoit que je ne visse personne à Paris pour les conséquences d’une première entrée, qui falloit qui fût tout à fait précautionnée, à cause de la cour, qui auroit eu peut-estre désagréable qu’on n’y eût pas observé quelque circonspection. Vous voyez par ce que je vous dis, qui est la pure vérité, que vous avez esté un peu bien Vite à juger de moi, et que vous me devez cette justice de croire fermement que quand je ne fais pas une chose qui vous peut montrer mon amitié, c’est qu’elle n’est point faisable, car voilà qui est vrai au pied de la lettre ; et ainsi quand en mille ans vous verrez, mon pas une chose contraire, mais une douteuse, suspendez vostre jugement tout au moins, et attendez de mes nouvelles. Voilà ma réponse à vostre première lettre ; venons à la seconde. Tout le jansénisme du monde ne m’eût pas empeschée de vous aller voir, si J’eusse esté plus longtemps ou plus libre à Paris : mais puisque je n’y voulois voir personne, je ne pouvois, par la mesme raison, sortir des Carmélites pour aller chez vous. Il est certain qu’à tout ce que l’on a dans le cœur et dans l’esprit, on aimeroit bien mieux ne vous point voir que de ne vous voir qu’en passant ; car enfin que ne vous dira-t-on point, et quel chapitre ne traitera-t-on pas à fond ? Je vous assure que voilà la chose du monde qui attire le plus mes souhaits et qui me donnera la plus sensible satisfaction, car je vous aime d’une manière si particulière, que rien assurément ne vous le peut faire comprendre comme cela est. »


Elle témoigne sans cesse à Mme de Sablé combien elle désirerait l’entretenir, et ce désir est si vif, qu’elle se le reproche. Elle voudrait l’avoir auprès d’elle en Normandie :


« Pour avoir un peu (lui écrit-elle) en vous parlant mes coudées libres ; mais cela ne se peut, car vous ne pouvez vous résoudre à faire un pas, et tout de bon l’imagination du plaisir qu’on aurait à vous entretenir de toutes choses me met quasi en colère contre vous de ce qu’on n’en saurait espérer ce petit effort. Vous estes trop bonne de craindre de vous émouvoir un peu trop pour moi ; c’est signe que rien n’est éteint, et que tous vos sentiments sont en leur entier. Je ne sais si je fais bien de m’en réjouir, et si il n’y a pas un peu trop d’amour-propre d’aimer mieux ma satisfaction que vostre perfection ; mais comme je suis bien éloignée de la mienne, il me reste, avec beaucoup d’autres défauts plus considérables, cette inclination d’Adam. »