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à abolir toutes les lois de douanes, — de telle sorte qu’au lieu de la domination unique et exclusive du parti démocratique, qui était, il y a un an, le trait caractéristique de l’état de la Nouvelle-Grenade, il y a aujourd’hui trois tendances, trois partis en présence. Cette situation a été mise en pleine lumière par un incident récent. La constitution nouvelle organise la république néo-grenadine sous une forme à peu près fédérative. Chaque état ou chaque province a sa constitution, sa législature, ses autorités indépendantes. C’est le suffrage universel qui nomme non-seulement les membres du congrès général, mais encore les principales autorités administratives et judiciaires. La première expérience de cette élection universelle vient de se faire, et qu’en est-il résulté ? C’est qu’un assez grand nombre de conservateurs ont été élus au congrès, aux législatures provinciales, dans les fonctions supérieures de l’administration. MM. Julio Arboleda et Mariano Ospina, tous deux mêlés à une insurrection conservatrice qui eut lieu en 1851,ont été nommés, le premier sénateur, le second gouverneur de la province de Medellin. À Bogota même, c’est un conservateur, M. Pastor Ospina, qui est gouverneur de la province. On pressent quelle force peut avoir en certains momens une autorité de ce genre en présence d’un gouvernement supérieur désarmé de toute prérogative. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces faits, c’est la réaction dont ils sont le symptôme, et une circonstance non moins singulière, c’est que là, comme partout, le suffrage universel est l’instrument de cette réaction. Malheureusement, pour revenir à un état plus normal, la Nouvelle-Grenade a sans doute à passer encore par plus d’une épreuve vulgaire, — anarchie ou dictature, — éternelle alternative des révolutions américaines !

Cette alternative qui pèse sur la plupart des pays de l’Amérique du Sud, le Pérou l’avait secouée pour sa part depuis dix ans ; il semble aujourd’hui menacé à son tour de commotions nouvelles. À une guerre déjà commencée avec la Bolivie vient se mêler la perspective de l’anarchie intérieure. C’est M. Domingo Elias qui s’est fait le chef d’un mouvement destiné à renverser le gouvernement légal. M. Elias est un des hommes les plus considérables du Pérou, moins encore par son importance politique que par ses opérations commerciales, par sa fortune et par la clientèle dont il jouit à ce titre. En ce moment encore, il a avec le gouvernement un contrat des plus avantageux pour le chargement du guano. Il y a quelques mois déjà, on s’en souvient, M. Elias écrivait au général Échenique sur la situation financière du Pérou une lettre des plus alarmantes, et qui n’était en réalité que le prélude de la levée de boucliers actuelle. Un moment emprisonné à la suite de cette lettre, il ne tardait point à quitter le pays en s’engageant à se rendre en Europe ; mais l’Europe était trop loin, et Guayaquil dans l’Equateur était beaucoup plus près. C’est là que s’arrêtait M. Elias, et c’est là qu’il organisait une première tentative insurrectionnelle. Bientôt en effet il débarquait avec quelques hommes dans le petit port péruvien de Tumbes. La fortune ne souriait pas à M. Elias, et sa bande était dispersée avant même que les forces envoyées contre lui, aux ordres du général Torrico, fussent arrivées. Il ne se décourageait pas cependant, et il parvenait à gagner secrètement Lima ; il échappait à toutes les recherches, et c’est le 21 décembre que M. Elias a reparu dans la province d’Ica, annonçant son pronunciamento, faisant des proclamations,