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donner aux images les plus élevées de la vie humaine ce qui les rend accessibles à tout le monde. Nul écrivain de nos jours mieux que M. Scribe peut-être n’a su répondre à cette moyenne dont nous parlons d’une partie de la société ; Française. Il a été l’historien, le poète, l’inventeur de ce milieu social ; il lui a pris ses personnages comme sa manière d’être, ses mœurs et ses élégances ; tous ces élémens, il les a fondus dans un théâtre qui assurément sera, lui aussi, en un certain sens l’expression d’une portion notable de la société. M. Scribe sait ce qui convient au public. Dans ce travail de la comédie facile, nul mieux que lui ne saura mener à bonne fin les entreprises impossibles, sauvant les situations risquées, réveillant l’attention par un mot piquant, conduisant une intrigue à travers tous les défilés, mêlant et démêlant une action avec une dextérité singulière. M. Scribe renouvelait l’autre soir au Théâtre-Français ces merveilleux jeux de scène par la comédie qu’il appelle Mon Étoile. En quoi consiste la comédie nouvelle ? Le sujet existe à peine ; seulement il se trouve qu’on arrive au bout sans songer à s’informer de quoi il s’agit et sans remarquer autre chose que la dextérité de l’auteur. Étrange rencontre cependant ! la comédie de Mon Étoile faisait sa première apparition un instant après les Femmes savantes. À côté de l’œuvre légère, c’était l’œuvre d’une grâce puissante, et tout ce monde de Molière, la douce Henriette et le beau Clitandre, Chrysale et Philaminte, et les Vadius et les Trissotins, immortelles créations d’un génie supérieur. Dans la comédie de Molière et dans celles de M. Scribe se montrait pour la première fois à la Comédie-Française un nouveau sociétaire, M. Bressant, artiste élégant et intelligent, mais à qui il reste encore à se mieux pénétrer de Molière. C’est la Russie qui nous renvoyait, il y a peu d’années, M. Bressant. Nous lui avons envoyé Mme Rachel, qui faisait, il y a peu de temps, la merveille de Saint-Pétersbourg et enflammait toutes les têtes. Cela prouve du moins que tout l’enthousiasme de la société russe n’est pas pour la guerre sainte contre les Turcs, puisqu’il en reste encore pour Hermione et Andromaque.

La question d’Orient se mêle par malheur à des choses autrement sérieuses. Que cette question ait son retentissement dans tous les pays et dans toutes les sphères, qu’y a-t-il de surprenant ? Elle domine tous les incidens. Il n’est pas jusqu’au récent voyage du prince Napoléon à Bruxelles qu’on n’ait pu rattacher à la situation actuelle de l’Europe. En Italie, assure-t-on, il ne laisse point d’y avoir une certaine fermentation, entretenue par mille bruits, par mille rumeurs que les complications européennes expliquent. Quant à ce qui a été dit des préparatifs déjà faits par le Piémont, il ne peut certes y avoir en cela la moindre vraisemblance. Ce n’est pas que le rôle du Piémont en Italie ait cessé d’être considérable ; mais ce rôle n’a aujourd’hui d’autre place que celle qui lui est assignée par la paix. En réalité, le Piémont en ce moment est occupé d’assez nombreuses réformes que le gouvernement et les chambres accomplissent de concert dans toutes les branches de l’administration publique. Décemment encore, le sénat discutait et adoptait une loi d’organisation du recrutement militaire. Et qu’on remarque, lorsqu’une question délicate existe dans un pays, comme elle vient se mêler à tout. On n’aperçoit pas peut-être le rapport de la question religieuse avec le recrutement militaire, et cependant le rapport existe, il a donné lieu à de longues discussions. Il s’agissait