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aux bons du trésor. Ajournant sans doute l’emprunt dont il a été un moment question, le gouvernement a probablement voulu, sous une autre forme, mettre ses moyens financiers à la hauteur des circonstances politiques actuelles. Ainsi tout concourt au même but dans certaines heures, tout se mêle dans cette histoire de tous les jours, qui finit à chaque instant et qui sans cesse recommence.

L’histoire se fait vite aujourd’hui. On a hâte de connaître autant qu’il se peut le secret des événemens, de mettre à nu les ressorts de toutes ces grandes choses et même de ces petites choses qui occupent le monde. Il se fait ainsi une sorte d’histoire courante et rapide de tous les jours, composée de tous les faits, de tous les bruits, de toutes les impressions. Les événemens, à mesure qu’ils s’accomplissent, passent dans le domaine de l’intelligence, qui les interprète et les commente. L’éclat de la publicité ne leur laisse pas le temps de se refroidir, ni même souvent de s’achever. Cela veut-il dire que dans toutes les conditions et à toute époque l’histoire n’ait pas bien des côtés ignorés des contemporains ? N’y a-t-il pas les réticences forcées, les mobiles inavoués, la part des hommes et de leurs passions, en un mot toute cette portion vivante et personnelle des événemens humains qui reste le plus souvent dans l’ombre ? Ce n’est qu’avec le temps que certaines époques et certains faits s’éclairent d’une juste lumière. La tombe elle-même révèle ses secrets. Que n’a-t-on point dit sur l’époque impériale ! Que n’a point dit l’empereur lui-même dans les commentaires échappés à ses dernières années ! Eh bien ! tout n’est point dit encore. Ouvrez cette Correspondance du roi Joseph et de l’empereur, dont la publication se poursuit en ce moment : elle gardait quelques-uns des traits les plus nouveaux et les plus puissans sur les hommes et sur l’époque. Dans les premiers volumes, c’était rétablissement de la dynastie napoléonienne à Naples qui se débattait ; dans ceux qui suivent, c’est la tentative pour absorber l’Espagne et la jeter aussi dans le moule impérial. Ici les événemens se pressent, tout marche avec rapidité ; s’il faut que mes destinées s’accomplissent, » dit lui-même l’empereur dans une de ses lettres. Cette correspondance est un drame, disions-nous récemment : rien n’y manque, ni le mouvement, ni le contraste des caractères, ni les péripéties, ni même une certaine unité. L’unité, elle est dans la connexité de ces deux tentatives sur Naples et sur l’Espagne, qui ne sont que les deux faces d’une même entreprise, et cette entreprise elle-même marque le point où l’empire s’arrache en quelque sorte aux conditions d’un établissement régulier pour se précipiter vers l’impossible.

Chacun a son rôle et son attitude dans ce drame, écrit en dehors de toute considération publique. En lisant ces lettres de l’empereur, on se fait une idée plus grande encore, si cela se peut, du génie du guerrier, de la puissance de ses ressources ; on reste presque effrayé de l’homme qui semble en certains momens n’avoir plus rien d’humain, qui ne veut reconnaître pour limites à ses volontés ni les obstacles les plus invincibles, ni les lois les plus naturelles. Insensible aux fatigues, aux émotions, aux avertissemens, il n’écoute rien et se contente de dénombrer une fois de plus ses forces. Il est pourtant quelques instans où le malheur semble pénétrer jusqu’à cette âme cuirassée et l’émouvoir. D’ordinaire il ne discute pas avec Joseph, il prescrit, il lui dit