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dernière pièce, en second lieu, il faudra prendre l’unité monétaire dans le métal destiné à prédominer, c’est-à-dire décider qu’à l’avenir le franc sera un certain poids d’or, si c’est l’or qui devient décidément la monnaie usuelle.

En résumé, l’illusion qu’on a pu conserver jusqu’à la fin de 1852 n’est plus admissible. La fécondité des nouvelles exploitations aurifères est incontestable, et c’est un de ces grands faits dont on hésite à sonder toutes les conséquences, tant le bien et le mal s’y trouvent confondus. Le dérangement dans l’équilibre des valeurs n’aura pas lieu sans une crise favorable pour quelques-uns, irritante pour beaucoup d’autres. Les propriétaires faisant valoir par eux-mêmes, les fermiers à long bail, les capitalistes spéculateurs, les industriels, auront moyen d’augmenter leurs recettes dans une proportion supérieure peut-être à l’enchérissement des marchandises : les chances de bénéfice sont pour eux. Au contraire ceux qui vivent d’un revenu fixe ou d’une solde accordée par autrui, les rentiers sur l’état et les créanciers hypothécaires, les employés et les ouvriers auront à s’imposer des privations pour aligner leurs recettes invariables avec des dépenses croissantes. Pour les ouvriers, le niveau des salaires se relèvera peu à peu de manière à rétablir l’espèce d’équilibre qui existe aujourd’hui entre leurs ressources et leurs besoins. Quant aux rentiers, leurs pertes resteront sans compensation. Seulement les plus éclairés d’entre eux se mettront à l’abri en transformant leurs créances. Aux placemens rapportant une somme invariable, ils préféreront les bonnes valeurs industrielles, dont le revenu augmenterait nécessairement, si une hausse générale venait à se déclarer dans le prix des marchandises et des services.

Si l’instruction économique était plus répandue, il n’y aurait pas à s’inquiéter beaucoup des accidens qui viennent de temps en temps influencer la circulation monétaire. Des phénomènes généralement prévus et compris n’inquiéteraient personne : chacun dans sa sphère avisant aux moyens de se garantir, l’équilibre des intérêts serait à peine ébranlé. Le vrai mal, c’est l’ignorance. Qu’on multiplie les avertissemens sous toutes les formes, afin que la cherté croissante ne paraisse pas à la foule le résultat d’un complot, et que le fabricant qui vend ses produits plus cher n’hésite pas à payer plus cher l’ouvrier ; qu’on atténue autant que possible les monopoles et les règlemens contraires à la liberté industrielle, afin que les forts ne puissent pas abuser et que les faibles ne soient pas entravés dans le légitime exercice de leur activité : voilà ce que les gouvernemens ont de mieux à faire en vue des circonstances qui se préparent. N’est-ce pas toujours là qu’il en faut venir : instruction et liberté ?


ANDRE COCHUT.