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nous appelons franc : l’or n’est qu’un équivalent auquel la loi attribue une valeur quinze fois et demie plus grande. Quelle deviendra donc notre situation, si tout notre argent nous est enlevé ? L’unité effective de notre système disparaîtra, et nous resterons avec des multiples qui auront cesse d’être en rapport avec l’unité disparue. Dans chaque vente faite à l’étranger, nous serons payés avec un équivalent altéré à notre préjudice. Le change sera calculé d’après l’argent, qui vaut plus, et on nous soldera en or, qui vaut moins. Renouvelée à chacune des opérations du commerce extérieur, la perte arrivera à un total énorme.

Si la dépréciation de l’or se prolonge en s’aggravant, et que la France ne modifie pas le rapport légal établi entre les deux métaux, ce que nous possédons d’argent monnayé sera exporté jusqu’au dernier franc. À calculer seulement au cours actuel du marché américain, chaque milliard d’argent remplacé par un milliard d’or infligera à notre pays une perte réelle de 40 millions. Le prix des marchandises s’élèvera nécessairement de toute la différence de valeur intrinsèque existant entre l’ancienne monnaie et la nouvelle, et comme une hausse de 4 à 5 pour 100 dans le commerce en gros se traduit par une hausse de 20 à 30 pour 100 dans le petit détail, il y aura de tristes mécomptes dans le budget des familles réduites au strict nécessaire.

Ainsi, dans cette surabondance phénoménale des métaux précieux, la France est doublement menacée, d’abord par un enchérissement universel des marchandises, fatalité contre laquelle l’autorité administrative est impuissante, et en second lieu, par son système monétaire, qui va cesser d’être en harmonie avec les faits commerciaux. Sans insister plus qu’il ne convient sur les inconvéniens d’une pareille situation, nous en avons dit assez pour montrer qu’il y a des mesures à prendre. À ne considérer les choses que théoriquement, le plus prudent serait d’adopter, comme en Hollande, un seul étalon monétaire, et de conserver pour élément normal de circulation le métal auquel notre pays est accoutumé ; mais, en matière de finances, la théorie rencontre souvent des difficultés d’exécution insurmontables. L’or est déjà entré trop abondamment dans la circulation française pour qu’il soit possible de lui enlever la valeur que la loi lui assigne : telle paraît être du moins l’opinion des personnes à portée d’observer la composition et les mouvemens des grands dépôts métalliques. Il est donc probable qu’en fera en sorte de conserver aux deux métaux leur existence légale, lui ce cas, deux modifications au système actuel nous paraissent indispensables. D’abord, on sera forcé de réduire, comme aux États-Unis, le poids des pièces d’argent, sans quoi notre monnaie blanche sera exportée jusqu’à la