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Les sociétés qui surgissent aux deux extrémités de l’Océan Pacifique ont montré des appétits à l’égal de leurs ressources. Alimentation, maisons, ameublemens, vêtemens, moyens d’instruction et de plaisir, tout étant à créer à la fois dans ces pays où un maçon, un charpentier, un tailleur, un cuisinier, reçoivent l’équivalent de 20 à 35 francs par jour, l’absorption du capital a dû être énorme. Le premier besoin qui s’est fait sentir a été celui d’un fonds de roulement. Une bonne partie des lingots australiens se sont échangés contre du métal monnayé en Europe. Le numéraire est si recherché en Californie, que, bien que l’intérêt légal y soit à 10 pour 100 par an, il y a des placemens réputés très sûrs faits à raison de 3 pour 100 par mois.

D’un autre côté, les États-Unis ont profité de l’abondance des métaux précieux pour prévenir les dangers auxquels les exposait l’usage immodéré du papier. La plupart des banques se sont procuré un encaisse respectable. L’Europe n’a pas reçu le tiers des trésors exhumés en Californie. Les exportations d’or officiellement constatées aux États-Unis depuis cinq ans n’ont pas dépassé la somme de 398,056,586 francs. « De tous côtés, dit à ce sujet l’organe le plus accrédité des intérêts commerciaux en Amérique, on nous demande ce que deviennent les masses d’or restant dans le pays. Notre réponse est que, indépendamment des quantités employées dans l’industrie, plus de 100 millions de dollars ont été ajoutés aux réserves des banques ou jetés dans la circulation monétaire. L’or est de plus en plus en usage, non-seulement parmi ceux qui peuvent thésauriser, mais dans les petits échanges des classes populaires. » Il est advenu en Amérique ce qui arrive souvent à ceux qui font un héritage inespéré : on a tant fait d’entreprises, on a tant exagéré les dépenses publiques et particulières, qu’on s’est mis dans la gêne, et que le numéraire n’a jamais été à plus haut prix ni plus recherché qu’en ces derniers temps.

Pareil effet s’est produit en Angleterre. L’énormité des avances faites à l’Australie a occasionné en grande partie la crise monétaire dont on souffre encore sur la place de Londres. Bref, la découverte des mines d’or, exaltant les imaginations, a été pour beaucoup dans ce redoublement de vitalité, dans cette prospérité presque universelle qu’on a remarquée à partir de 1850 jusqu’au jour néfaste où la question d’Orient a été soulevée, et la demande croissante des capitaux pour une foule d’entreprises nouvelles a fini par absorber les métaux précieux produits en surcroît.

Il n’en sera pas toujours ainsi. Le moment n’est pas loin où la Californie et l’Australie auront complété leur fonds de roulement, où il y aura saturation métallique dans le commerce américain, où les