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immense continent dont on ne connaît encore que les lisières, sait-on ce qu’il recèle à l’intérieur ? Les uns ont dit qu’il s’y trouve un grand lac, les autres un affreux désert[1] : peut-être qu’on y va découvrir des montagnes d’or ! et sur cette vision les têtes s’exaltent. Des terrains que le capitaine Cook aurait obtenus, il y a moins d’un siècle pour un morceau de verroterie, sont achetés aussi cher que sur le boulevard des Italiens ou à Piccadilly. On trace des chemins de fer ; on projette toute sorte d’établissemens utiles, et l’Angleterre essaie de construire des bâtimens gigantesques pour établir un large courant de population entre l’Europe et l’Océanie !

Non-seulement il faut s’attendre à ce que les nouvelles mines conservent leur fécondité, mais il est probable que les anciens pays aurifères seront entraînés à accroître leur production pour soutenir la concurrence. Jusqu’ici la Russie a eu pour système de modérer l’extraction de l’or afin d’en prévenir l’avilissement, et, sur cette sage pensée, elle a enchaîné cette industrie dans les liens d’une fiscalité 1res onéreuse. Les mines d’or de la Sibérie ont été distribuées en dix classes et soumises à des impôts progressifs. Les mines de première classe, c’est-à-dire celles qui donnent de 1 à 2 pounds (16 à 32 kil.) sont taxées dans la proportion de 5 pour 100 du produit. Celles de la classe supérieure, rendant 50 pounds au moins (820 kilogrammes d’une valeur de 2,820,000 francs), supportent une taxe de 32 pour 100 pour les 50 premiers pounds, et de 35 pour 100 pour le surplus. Au lieu de maintenir des impôts restrictifs en présence d’une concurrence formidable[2], on sera plutôt conduit à spéculer sur un accroissement de production. La fécondité de la Sibérie deviendrait à son tour effrayante, si rien ne lui faisait obstacle. Il y a vers l’Altaï des localités où, suivant des renseignemens transmis à M. Michel Chevalier, l’extraction moyenne par tête de travailleur et par jour peut s’élever à plus de 10 grammes, c’est-à-dire à une valeur commerciale de 34 francs : trois fois plus que nous n’avons attribué aux pionniers errans dans la Californie et l’Australie.

  1. On commence à parler beaucoup en Angleterre d’une expédition à l’intérieur de l’Australie. Des souscriptions volontaires ont déjà été offertes pour cette entreprise nationale.
  2. La recherche de l’or n’a été d’abord grevée en Australie que par un droit de licence de 30 shillings par mois pour les citoyens et du double pour les étrangers. Une loi nouvelle vient de réduire à 10 shillings par mois (12 francs 50 centimes] le droit de licence au profit de la colonie, en y ajoutant un prélèvement de 3 pour 100 sur les produits au profit de la métropole. On ne fait plus de différence entre les nationaux et les étrangers. En Californie, il a fallu payer, jusqu’en 1851, 20 piastres (100 fr.) par mois pour avoir la jouissance exclusive d’un claim, lot d’environ 10 mètres sur la rive d’un cours d’eau, et d’une dimension illimitée par les côtés. Actuellement la location mensuelle d’un claim est réduite à 3 piastres (15 fr.) seulement. C’est un moyen de localiser le travail de chacun, plutôt qu’une spéculation fiscale.