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du quintal d’or. En juillet 1851, au moment où les esprits fermentaient avec le plus de force, un indigène de la race noire des Papous, engagé depuis sept ans au service du docteur John Kerr de Wallawa, district de Balhurst, raconta à son maître que, dans une excursion lointaine, il avait été attiré par les reflets brillans d’un rocher, et qu’ayant eu la curiosité de briser avec son tomahawk quelques fragmens du bloc, il en avait dégagé une matière jaunâtre, ayant une apparence métallique. Sans perdre une minute, le docteur fit atteler une carriole, se munit de quelques outils, et se mit en campagne avec son fidèle et intelligent serviteur. Ce n’était point une illusion, la nature avait amassé en ce lieu un trésor d’une incomparable richesse. Un bloc de quartz d’environ trois quintaux anglais (150 kilogrammes) contenait une grande quantité de morceaux d’or pur. Le docteur, homme instruit, aurait désiré conserver ce spécimen de minéralogie sans pareil dans le monde ; mais deux personnes ne pouvaient manier une telle masse, et il n’eût pas été prudent de quitter la place pour aller chercher des auxiliaires. Le docteur s’étant décidé à briser le bloc, il en tira un certain nombre de lingots. Le plus gros, pesant un peu moins de 3 kilogrammes, valait à lui seul 10,000 francs. Le tout, composant un poids de 47 kilogrammes, représentait, au cours du tarif français, environ 160,000 francs.

M. Kerr désirait que la chose restât secrète. Le bruit se répandit néanmoins qu’il avait trouvé un trésor. Cette rumeur l’exposant à une curiosité importune, il annonça qu’il ferait bientôt connaître la vérité. Le lendemain, on vit le docteur sortir en cabriolet découvert et escorté par son nègre à cheval. Le cabriolet allait au pas dans la grande rue de Bathurst ; M. Kerr tenait suspendu, pour le faire voir aux passans, le plus gros des morceaux qu’il avait exhumés : les autres étaient placés d’une manière ostensible dans une boite d’étain. Après avoir promené le trésor devant la foule ébahie, délirante d’espérance et d’envie, le cortège se rendit à la banque dite l’Union australienne, où les lingots furent examinés, évalués et surtout admirés. Achetés sur place 86,000 fr., ils ont été envoyés à Londres, où ils ont sans doute trouvé acquéreur à très haut prix, à titre de curiosité minéralogique. Il faut ajouter, pour la moralité de l’histoire, que le digne docteur ne se contenta pas d’allouer au nègre australien quelques pièces de cotonnade : il se fit un point d’honneur d’assurer l’avenir de sa famille, en lui donnant, avec un petit domaine, deux troupeaux de moutons, deux chevaux de selle, un attelage de bœufs et un petit matériel d’exploitation.

Cet incident frappa du coup de grâce les cerveaux australiens. À l’exception des personnes retenues par des infirmités ou des devoirs impérieux, la population entière se dissémina dans les déserts.