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méchans citoyens de France furent Richelieu et Louvois. » Je sais ce qu’on va dire : Montesquieu était aristocrate. Non ; il était libéral.

Bien peu d’années avant la mort de Richelieu, dans un pays voisin, tourmenté lui aussi du besoin d’une vaste réformation, un ministre habile et intrépide tramait avec un roi fier et imprévoyant un plan nouveau d’autorité, le système absolu, comme ils l’appelaient (the thorough scheme), et en même temps il venait du peuple une assemblée pleine de conviction et de hardiesse, qui entreprenait, par les seules forces de ses délibérations, de réformer le gouvernement et de s’en saisir en cas de résistance. Elle aussi, elle eut à traverser des conflits terribles et sanglans ; il y eut aussi des guerres civiles et de cruelles exécutions ; la mesure aussi fut passée, et le succès atteint et manqué plus d’une fois. Il fallut ainsi environ quarante ans de troubles et de luttes pour que les deux pays arrivassent à l’établissement stable que l’un cherchait dans le développement de l’autorité royale, l’autre dans celui du pouvoir parlementaire ; l’un dans la forme de gouvernement que les événemens ont brisée, l’autre dans celle que le temps a consacrée… On poursuivra, si l’on veut, le parallèle. Pour moi, aujourd’hui comme aux jours de ma jeunesse, j’aime encore mieux le long parlement que le grand ministre. Enfin je changerais peu de chose à ce jugement du cardinal de Metz : « Le cardinal de Richelieu fit, pour ainsi parler, un fonds de toutes les mauvaises intentions et de toutes les ignorances des deux derniers siècles, pour s’en servir selon ses intérêts ; il les déguisa en maximes utiles et nécessaires pour établir l’autorité royale, et la fortune secondant ses desseins par le désarmement du parti protestant en France, par la victoire des Suédois, par la faiblesse de l’empire, par l’incapacité de l’Espagne, il forma dans la plus légitime des monarchies la plus scandaleuse et la plus dangereuse tyrannie qui ait peut-être jamais asservi un état. »


VIII

Les écrivains qui depuis ces trente dernières années ont, à la lueur de la révolution française, éclairé notre histoire d’un jour si vif et si nouveau, appuient sur une distinction juste et féconde entre l’ordre politique et l’ordre social. Depuis le commencement de la monarchie peut-être, certainement, depuis le XIIe siècle, c’est surtout le dernier qui s’est, disent-ils, développé par l’effet des événemens, et qui a marché d’un progrès continu jusqu’à l’ère de 1789. Les efforts moins heureux pour fonder un ordre, politique stable, cohérent et perfectible, les tentatives d’un gouvernement complet, qui concentrât et limitât ses forces, qui pût se déployer avec grandeur et se réformer