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autre fois il s’était permis de prétendre que les trois ordres étaient frères et que le sien était le cadet : « Ordre inférieur, répliquait le premier, composé des villes et des champs, ces derniers quasi tous hommagiers et justiciables des deux premiers ordres… Ils veulent se comparer à nous, j’ai honte de vous dire en quels termes ! » Il fallut que le clergé s’entremit, que le roi intervint. On calma les esprits avec des promesses sur les offices et sur les pensions ; mais les promesses n’ont jamais été tenues, et Richelieu, qui avait attaqué la vénalité des charges dans sa harangue, n’a pas manqué de la défendre dans son testament.

Le tiers d’ailleurs se distingua, selon l’usage, par un sentiment plus éclairé des intérêts de l’état et des besoins du pays. Ses cahiers contiennent une série de vœux ou plutôt un code de principes de législation et d’administration qui se lisent avec surprise et qui sont à peine réalisés depuis 1789. Fidèle à ses traditions de race, il commença par proclamer sa vieille alliance avec la royauté, en demandant qu’elle fût déclarée souveraine de droit national, indépendante de toute puissance sur la terre. La France frémissait encore d’horreur au souvenir de l’assassinat du roi. Elle croyait que les passions régicides s’alimentaient des fausses doctrines de suprématie spirituelle empruntées par une partie du clergé à la cour de Rome. Pour prévenir à jamais les actes, on voulait faire condamner la doctrine. Le clergé s’efforçait de sauver la doctrine en détestant les actes, et la noblesse rendait au clergé l’appui qu’elle en avait reçu. La question fut portée devant le roi, qui se jugea trop défendu, et pria ses sujets de le laisser pourvoir lui-même aux intérêts de sa puissance. Le tiers maintint sa délibération sur ses registres, et ne sollicita dans ses doléances publiques, dignes de celles des états de 1560, que ces mesures d’égalité, d’unité, d’affranchissement, toujours réclamées, ajournées toujours. Toutes ses demandes rédigées en articles furent renvoyées à une commission du conseil, et elles y seraient encore, s’il n’était survenu deux événemens, le ministère de Richelieu et la révolution française.

Ainsi, comme ordre national, le tiers n’avait aucune autorité ; les états-généraux eux-mêmes n’étaient pas un pouvoir. Vainement l’idée d’une réforme, cette idée plus que séculaire, était-elle dans tous les esprits ; elle ne servait qu’à les remplir de tristesse et quelquefois d’humiliation. Ces griefs longtemps comprimés n’engendrèrent jamais dans les masses cette énergie qui entreprend et qui persévère, ce courage de vouloir la justice, qui fait le salut d’une nation lorsqu’elle défend ses droits, et son péril quand il faut les conquérir. La France, dénuée de ces prérogatives héréditaires qui assurent aux peuples une position défensive, s’abstint longtemps de la témérité de l’agression ; mais il pouvait venir un jour où ces ajournemens indéfinis,