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d’intérêts publics que les privilèges de son rang. Les décrets de la souveraineté étaient pesés par elle dans la balance de ses prétentions. Tous les services rendus à l’état en dehors d’elle lui semblaient abusifs ou méprisables. Toutes les réformes administratives la trouvaient froide, hostile ou dédaigneuse. L’état était son obligé ; il devait lui savoir gré de ce qu’elle faisait pour lui en servant le roi.

Mais il se rencontre dans son sein des hommes qu’une intelligence supérieure, une aptitude spéciale, une ambition éclairée ralliait autour de la royauté, considérée non plus comme une dignité seigneuriale, mais comme un pouvoir de gouvernement. Pour ceux-là, dont Sully est le plus illustre exemple, le privilège de la naissance se transforme en une éligibilité spéciale aux emplois publics. Quelques-uns deviennent des courtisans fonctionnaires, ou même s’arrêtent en route et se contentent du premier métier ; ce n’est alors qu’une transformation dernière du lien féodal. Ceux-là seuls qui ont conçu dans le titre de serviteur du roi celui de serviteur de l’état donnent à la noblesse l’exemple que, pour son salut et son honneur, elle aurait dû suivre, et qui, largement compris, l’aurait conduite peut-être à convertir une stérile distinction de caste en une magistrature aristocratique. Toutefois, dans le cercle même des fonctions publiques, la grande part demeurait encore au tiers-état ou à ces nobles de roture qui lui servaient de chefs et passaient des tribunaux dans l’administration. Le maniement des affaires semblait réservé de préférence aux bourgeois capables, dont L’Hôpital est le grand homme et Colbert le grand ministre.

La judicature était l’aristocratie du peuple. La dignité des mœurs, la gravité des habitudes, la fidélité aux traditions donnaient aux parlemens un imposant caractère. Dans leur sein régnait en général, à défaut de l’esprit de justice, ce respect des formes qui souvent en tient lieu. Sous cette enveloppe quelquefois trompeuse vivait un certain sentiment du droit. Ce droit était d’ordinaire le leur, qui se trouvait par occasion protéger celui des autres. Ainsi le privilège, si cher au parlement, de rendre exclusivement la justice devenait pour le citoyen le droit de n’être pas distrait de ses juges naturels, et ceux-ci, en soutenant leur prérogative, défendaient indirectement les justiciables. Placez le parlement dans une autre sphère, entendez-le délibérer sur la chose publique : toutes les fois que quelque usurpation lui paraîtra blesser un de ses privilèges, les remontrances viendront en aide au bon droit ; mais si le privilège est un abus, si par orgueil ou préjugé il se croit intéressé au maintien de quelque désordre consacré, de quelque inégalité traditionnelle, la résistance sera la même, et le mal comme le bien trouvera sur les fleurs de lys de consciencieux défenseurs. Un conflit fréquent opposera l’indépendance routinière du magistrat et l’esprit réformateur de l’administration.