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comme les deux faces du caractère national. L’une et l’autre se sont montrées dans notre histoire. Et ceux qui l’ont écrite dans ces derniers temps, moins prévenus pour l’autorité ou plus libres avec elle, ont échangé le royalisme contre le patriotisme, en poussant la sympathie pour la France jusqu’aux complaisances de l’admiration. Malheur à l’historien qui raconte son pays sans l’aimer ! mais on peut en l’aimant ne le pas flatter. La partialité du bon citoyen peut, comme celle du fidèle sujet, altérer la vérité de l’histoire, surtout en obscurcir les enseignemens. Il y aurait certainement une grande utilité et une originalité éminente dans la conception d’une histoire de France entreprise avec une entière indépendance. Celui qui s’engagerait à l’exécuter et qui tiendrait parole pourrait quelquefois déplaire au pays ; mais son œuvre n’en serait que plus patriotique.

En considérant dans leur cours les destinées de notre France, le juste orgueil dont à de certains momens il sentirait son cœur atteint ne le préserverait pas d’une pensée générale singulièrement triste. La France est en Europe une puissance du premier ordre ; elle est au premier rang de la civilisation. Ce n’est pas flatterie, il me semble, que de lui reconnaître quelques-uns des caractères d’une grande nation. Cependant l’histoire d’une grande nation ne mérite tout à fait d’être appelée ainsi qu’autant qu’elle la représente se déployant dans la suite des temps avec une certaine unité, marchant avec un peu de constance et de bonheur vers un but déterminé, servant pour sa gloire et pour son bien un des grands intérêts, une des grandes pensées de l’humanité. Il y en a de plusieurs sortes, — le bon gouvernement, — la domination par la politique, — la domination par la conquête, — la félicité publique, — enfin la religion, la liberté, les lettres et les arts. Toutes ces choses peuvent se rencontrer ensemble ou tour à tour dans un pays vaste et civilisé : aucune ne doit, autant qu’il est possible, lui demeurer tout à fait étrangère ; mais la grandeur d’un pays, la beauté de son histoire n’atteint son plus haut terme que lorsque les siècles semblent avoir conspiré pour conduire le peuple à la réalisation éminente, exemplaire, d’une de ces nobles choses qui méritent d’être poursuivies comme le triomphe d’une bonne cause. Or, disons-le en toute sincérité, on aurait peine à trouver du premier coup quelle a été la mission que la France a reçue ou s’est donnée, et supposé qu’elle se fût successivement ou tout à la fois marqué des buts divers, on démontrerait difficilement qu’elle ait atteint un de ces buts d’une manière assez durable et assez complète pour servir a d’autres de modèle et de guide. Est-ce la faute des événemens, du gouvernement, de la nation ? Nous l’ignorons, et nous ne cherchons pas à sortir de notre ignorance.