Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Porter à soi tout seul un faix de six chameaux,
Sous un soleil d’enfer doubler à jeun l’étape,
Pour traquer le gradin qui toujours nous échappe,
Ce métier-là, ma foin n’est pas du tout charmant.
Mais en venir aux coups, se battre vaillamment,
F’aire une razzia sur quelque territoire,
Prendre mille moutons que rôtit la victoire,
Tu conviendras, serpent, que rien ne vaut cela !

— Oui, sans doute, pour ceux qui reviennent de là.

— Eh quoi ! mon brave, toi qui, soldat intrépide,
Jadis courais au feu d’un élan si rapide,
Maintenant, d’un autre œil verrais-tu le danger ?

— Ami, j’avais alors le cœur vide et léger ;
Alors peu m’importait qu’au début de ma traite
Une balle en passant vint me casser la tête.
Aujourd’hui je veux vivre, afin d’aller revoir
Celle qui voulut bien un jour nous recevoir,
Ce modèle de grâce et de bonté divine
Que j’aime depuis lors,… la belle Jacqueline !
Le temps de mon service est bientôt expiré.
De quel pas, de quel cœur, une fois libéré,
Je pars, et quel destin d’être accueilli par elle !

— Ta mémoire, mon vieux, me parait peu fidèle.
Ne te souviens-tu pas que nous devons tous deux
Aller concurremment lui présenter nos vœux ?

— Y songes-tu toujours ?

— Eh ! eh ! mais…

— Réponds vite.

— J’ai conçu d’autres plans, et je t’en félicite,
Car, bien que tu ne sois, mon bon Rousseau, pas mal,
Je faisais, ce me semble, un terrible rival.

— Crois-tu ?

— Si je le crois !… Ami, Dieu me pardonne,
Près des femmes, souvent moi-même je m’étonne.
Pour dompter la plus fière indubitablement,
Une phrase, un regard, certain roucoulement, —
C’est tout ce qu’il me faut. D’ailleurs, à ne rien taire,
Je figure si bien sous l’habit militaire !
Aussi, cher compagnon ; quoique près, comme toi,
D’avoir fait le service imposé par la loi,
Ne voulant, à leurs yeux, perdre aucun avantage,