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— N’as-tu pas voulu affronter la montagne et te remettre à la poursuite des chamois ?

— Je le veux toujours.

— C’est sans doute que tu n’es plus satisfait de sculpter l’if et l’érable à Mérengen.

— Moi ! s’écria Ulrich avec une chaleur d’accent involontaire, ne crois pas cela, cousin ; quand mon couteau taille le bois, il me semble que je respire plus à l’aise. Ce que tu sens sur les grands pics, moi je l’éprouve l’outil à la main : mon œil voit plus clair, mon sang court plus vite. Tout à l’heure encore, tiens, quand nous montions les dernières rampes et que tu me montrais les pistes, sais-tu ce que je regardais ? Une touffe de cyclamen qui épanouissait ses feuilles au creux du rocher, et que j’aurais voulu imiter avec le poinçon et le couteau.

— Et pourquoi alors as-tu repris ta carabine ? demanda brusquement le chasseur.

Ulrich parut embarrassé.

— Il le fallait, dit-il en se levant… pour un motif… que tu connaîtras plus tard… Partons maintenant…

— Non, reste, interrompit Hans, qui l’arrêta d’un geste impérieux ; pour apprendre ce que tu ne veux pas me dire, je n’ai pas besoin d’attendre ; je sais tout. Tu es redevenu chasseur, parce que c’est le seul moyen d’obtenir Fréneli, et que tu l’aimes.

— C’est vrai, répliqua Ulrich sans hésitation : est-ce, pour me le demander que tu as attendu à la brèche de la Wengern-Alpp, et que tu m’as conduit jusqu’ici ?

Hans appuya les deux mains au canon de sa carabine et le regarda fixement.

— Ainsi tu l’avoues, reprit-il les lèvres serrées, et cependant tu sais que moi aussi j’ai choisi Néli pour femme ; dis, l’ignores-tu ?

— Non, dit le jeune sculpteur, qui attendait cette déclaration ; mais comme Néli est libre, nos volontés ne sont rien : elle seule choisira.

— Et tu sais bien que c’est déjà fait, n’est-ce pas ? ajouta le chasseur, dont les yeux s’allumèrent ; tu as profité de tes avantages pour tourner son cœur de ton côté ; moi, je n’ai jamais su que souffrir en dedans et me tair, tandis que toi, tu savais lui parler. Je n’apportais au logis que le pain noir de chaque jour, tandis que tu venais avec des coupes sculptées… J’ai vu celle d’hier… Mais tu n’as pu croire que je te laisserais me voler mon bonheur sans me venger.

— Que veux-tu dire ? interrompit Ulrich en tressaillant.

Hans lui saisit le bras. — Écoute, continua-t-il, j’ai voulu te parler dans un endroit où personne ne pouvait nous interrompre ; comprends