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éclairée de la cabane, elle jeta un rapide regard sur Ulrich et sur sa petite-fille.

— Hans n’est point de retour ? demanda-t-elle.

— Pas encore, mère-grand’, répliqua Fréneli.

La vieille femme se retourna vers son neveu. C’est que lui ne se repose jamais, dit-elle avec intention ; le pain qu’on mange ici, il faut qu’il le gagne là-haut, au-dessus des glaciers. Tu as bien fait de choisir un métier plus facile, toi : les chamois courent trop vite pour les pieds qui aiment à s’étendre sur la pierre du foyer.

— Aussi ai-je lieu de me réjouir chaque jour de ma détermination, répliqua le jeune homme sans deviner l’ironie sous l’accent sérieux de la grand’mère.

— Ulrich nous a apporté un échantillon de son travail, interrompit Fréneli, qui essaya de s’entremettre ; voyez, mère-grand’, comme il est devenu habile !

Elle avait approché la lumière d’une de ces coupes en forme de tulipe, imitées depuis par tous les découpeurs de bois, mais dont Ulrich avait eu idée le premier. Mère Trina jeta à peine un regard rapide sur l’œuvre de son petit-neveu. – Et il y a des gens qui achètent ce bois taillé ? demanda-t-elle avec une sorte de surprise.

— Assez cher, répliqua Ulrich fièrement, pour que mon tour, mon poinçon et mon couteau me rapportent là-bas plus d’argent chaque semaine que sa carabine n’en rapporte ici à Hans en tout un mois. Mère Trina croit-elle que l’argent soit une bonne chose ?

— Certes ! répliqua la vieille femme, c’est ce qu’il y a de meilleur… après l’or.

— Sans compter, ajouta Ulrich, qui suivait sa pensée, que je n’ai pas toujours, comme sur la montagne, la mort qui me coudoie. Aussi la femme qui m’attendra près du foyer n’aura pas à trembler chaque fois qu’un bruit d’avalanche viendra des Schreek-Hoerner ou du Wetter-Horn.

La grand’mère lui lança un regard qui le força à baisser les yeux. — Ah ! c’est là ce que tu faisais comprendre tout bas à Néli ? dit-elle.

La jeune fille voulut, du geste, arrêter la réponse d’Ulrich ; mais il saisit avec une sorte d’empressement désespéré l’occasion de connaître son sort tout entier. — C’est vrai, je lui ai parlé, dit-il d’un accent ému, et, puisque vous l’avez deviné, il n’y a plus de raison pour se taire devant vous. Moi, j’ai toujours souhaité ce mariage ; mais depuis trois années nous sommes deux à y penser.

La vieille femme se retourna vers Fréneli, qui baissa la tête en rougissant.

— Vous me connaissez depuis le berceau, continua Ulrich ; j’ai été élevé ici comme votre fils, vous savez qu’il n’y a en moi ni lâcheté,