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charmant de son caractère au sujet de l’inscription gravée sur le collier de sa petite chienne. Ce trait ayant été signalé de son vivant au public dans un article fort élogieux d’un journal rédigé par Rœderer, le vieux Beaumarchais écrit naïvement au rédacteur pour le remercier de ses éloges, et le prier de vouloir bien rectifier l’inscription de ce collier, qui a été un peu défigurée, « car, dit-il, il faut toujours citer juste : »

« Je suis Mlle Follette ; Beaumarchais m’appartient.
« Nous demeurons sur le boulevard. »

En résumé, les défauts qu’on a pu reprocher à Beaumarchais venaient moins de l’homme que de sa situation et de son temps. Placez-le dans un milieu social où les droits du talent soient pleinement reconnus, et au lieu d’avoir cette physionomie un peu forcée où la hardiesse, poussée parfois jusqu’à l’effronterie, n’est que le contrecoup des injustes dédains qu’on lui oppose, il aura la véritable physionomie de son caractère, entreprenant, actif, courageux, mais foncièrement bon, délicat et loyal. Il n’aura pas besoin, comme tant d’autres personnages qui sont venus après lui, de se créer à grands frais de ruse, en serpentant à travers tous les partis et en se rangeant toujours du côté du plus fort, une consistance sociale équivoque. Du jour où la carrière sera ouverte à tous, sa rare intelligence lui permettra facilement d’y jouer un grand rôle. Pour s’imposer, il lui suffira peut-être d’ajouter à toutes ses qualités un défaut qu’il n’avait pas et qu’il aurait pris facilement, car rien n’est plus commun de nos jours que ce défaut qui peut s’appeler l’hypocrisie de la dignité. Un des esprits les plus éminens et en même temps les plus sagaces de l’Angleterre, M. Thomas Carlyle, a écrit au sujet de ces études sur Beaumarchais quelques lignes qu’on nous permettra de citer en terminant, parce qu’elles résument très bien l’opinion définitive qui résulte pour nous de ce long travail, et que nous serions heureux de répandre. « Ces récits, écrit M. Carlyle à un collaborateur de la Revue, M. Émile Montégut, m’ont donné sur le caractère de l’auteur du Mariage de Figaro des notions que je n’avais encore trouvées nulle part. Beaumarchais était après tout une belle et vaillante espèce d’homme, et dans son genre un brillant spécimen du génie français. » — Rien de plus juste que cette appréciation de M. Carlyle, et l’on peut affirmer que pour donner toute sa mesure, pour arriver à tout, pour figurer dans l’histoire de son pays avec autant d’élévation et d’éclat qu’il y a figuré avec agitation et avec bruit, il n’a manqué à Beaumarchais que de venir au monde cinquante ou soixante ans plus tard.


Louis de Loménie.