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Quelques jours après la mort de son mari, Mme de Beaumarchais écrit sur lui les lignes suivantes :


« Notre perte est irréparable. Le compagnon de vingt-cinq ans de ma vie a disparu, et ne me laisse que d’inutiles regrets, une solitude affreuse et des souvenirs que rien n’effacera… Il pardonnait de bonne grâce, et oubliait volontiers les injures et les mauvais procédés, il était bon père, ami zélé et utile, défenseur né de tous les absens qu’on attaquait devant lui. Supérieur aux petites jalousies si communes parmi les gens de lettres, il les conseillait, les encourageait tous, et les servait de sa bourse et de ses conseils. Aux yeux de la philosophie, sa fin doit être regardée comme une faveur : il s’est dérobé à cette vie laborieuse, ou plutôt elle s’est dérobée à lui sans débats, sans douleur, sans aucun des déchiremens de l’affreuse séparation de tous ceux qui lui étaient chers. Il est sorti de la vie à son insu, comme il y était entré. »


La veuve de Beaumarchais mourut en 1816, conservant jusqu’au bout, et quoiqu’elle fût en proie à des infirmités cruelles, la grâce et la fraîcheur de son esprit.

La fille de l’auteur du Mariage de Figaro, Mme Delarue, a laissé dans l’esprit de tous ceux qui l’ont connue le souvenir d’une personne charmante de vivacité, de finesse et de bonté, aimant et cultivant les arts avec passion, excellente musicienne, femme du monde et en même temps mère de famille accomplie. Son style offre une allure dégagée, colorée, qui rappelle assez bien la manière de son père. C’est ainsi qu’après avoir enfin gagné en 1818 un long procès relatif à l’estimation de sa belle maison, elle raconte son triomphe en ces termes :


« Après douze années d’injustice, trois ou quatre révisions, autant d’expertises, bassesse, et astuce d’une part, maladresse et incapacité de l’autre, bonne foi, duperie, patience et impatience d’une troisième ; après un ballottage désespérant, une série de dits, redits et dédits plus démontans encore ; après un an, même deux, de pourparlers, quatre mois d’escarmouches, six semaines d’attaques à bout portant, deux tentatives d’escalade, sans compter les mines et contre-mines et les intelligences dans la place (j’entends par intelligences les tachygraphes tenant note des points importans dans les plaidoiries pour et contre), après une vive sortie des assiégés, etc., nous l’emportons enfin, et voici les stipulations du traité. »


Dans un paquet de lettres de Mme Delarue, adressées à deux de ses meilleures amies, à la noble veuve de l’illustre général Hoche et à sa fille Mme la comtesse Des Roys, qui ont bien voulu me les communiquer, je trouve des billets écrits d’une plume rapide comme la pensée, offrant toujours, avec une nuance de grâce féminine, la verve et l’entrain de l’auteur du Mariage de Figaro. Tel est celui-ci, par exemple, écrit au commencement de 1831, à la nouvelle d’une belle victoire des Polonais :