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lesquels nos armées ont étonné toute l’Europe ! C’est vous seuls qui ferez la paix, la prescrirez, la dicterez même aux Anglais, dont une grande partie déteste les mesures prises par leur gouvernement pour vous troubler dans la forme libre du vôtre. Et, citoyens (j’ai déjà pris la liberté de vous l’écrire), si vous étiez bien reconnus, dans un honorable traité, par ces Anglais (que la seule vanité arrête), comme peuple libre et souverain, pesez ce mot, ô citoyens ! vous députés ! vous convention ! vous seriez parvenus au faîte de la gloire, car l’Europe entière suivrait sans hésiter ce grand exemple, et c’est alors que vous auriez acquis, conquis le droit si beau de délibérer sagement, — si le gouvernement d’un seul, le plus fort, le plus net et le plus rapide de tous dans l’exécution des projets mûris profondément par les assemblées législatives, convient mieux à un grand pays que toute autre répartition de ce pouvoir si orageux…

Pierre-Augustin Caron Beaumarchais,
« Commissionné, proscrit, errant, persécuté, mais nullement traître ni émigré. »


À l’époque où Beaumarchais écrivait cette lettre, le gouvernement de la convention n’avait plus que deux mois à vivre. Il fut bientôt remplacé par celui du directoire et des deux conseils. Les ardentes sollicitations de la femme et des amis du proscrit parvinrent enfin à le faire rayer de la liste des émigrés, et, après trois ans d’absence, l’auteur du Mariage de Figaro put rentrer dans son pays.


III. – BEAUMARCHAIS APRÈS SON RETOUR EN FRANCE.

Revenu à Paris le 5 juillet 1796, Beaumarchais se trouvait en présence d’une grande fortune abîmée non seulement par la crise générale qui en avait détruit tant d’autres, mais encore par l’effet de six scellés successifs, de la confiscation de tous ses revenus, de l’enlèvement en masse de tous ses papiers, de la disparition de toutes ses créances. Sa belle maison était dégradée, ses jardins étaient bouleversés. En même temps que ses débiteurs s’étaient débarrassés de leurs dettes en les payant au fisc en assignats, de nombreux créanciers l’attendaient pour le prendre à la gorge. Il avait des comptes à rendre et à demander à l’état, qui, après avoir séquestré sa fortune, tenait encore dans ses mains 745,000 fr. déposés par lui. Il s’occupa d’abord de marier sa fille unique « avec un bon jeune homme, dit-il dans une lettre déjà publiée par Gudin, qui s’obstinait à la vouloir quand on croyait que je n’avais plus rien ; elle, sa mère et moi, ajoute-t-il, avons cru devoir récompenser ce généreux attachement. Cinq jours après mon arrivée, je lui ai fait ce beau présent[1]. »

  1. Le bon jeune homme à qui Beaumarchais donnait en 1796 sa charmante fille était M. André-Toussaint Delarue, qui fut en 1789 aide de camp du général Lafayette, administrateur des droits-réunis sous l’empire, colonel de la 8e légion de la garde nationale sous la restauration et sous le gouvernement de juillet. En 1840, M. Delarue demanda, à cause de son âge, à se démettre de ses fonctions de colonel ; le gouvernement, ne vou-