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jours après, le 21 thermidor an II, un autre arrête du comité de sûreté générale renouvelé rendit à la liberté les citoyennes Caron. Pendant cette période sinistre de la terreur, Beaumarchais, réfugié à Hambourg et privé de toute communication avec sa famille, était en proie à des angoisses mortelles. Il sentait que l’insuccès de ses opérations faisait précisément le danger des êtres qui lui étaient chers ; il s’épuisait en efforts et en manœuvres pour empêcher au moins le gouvernement anglais d’enlever d’autorité ces malheureux fusils, qui, s’ils tombaient dans les mains de l’ennemi, allaient à la fois le ruiner et le compromettre horriblement devant le comité de salut public. Tous les assignats du comité avaient été épuisés pour cette préservation ; ne recevant rien de la France, il était tombé lui-même dans une détresse qui, à la vérité, ne dura qu’un moment[1], mais qui fut extrême. Sa correspondance offre des momens de désespoir terrible où il se demande s’il n’est pas fou. « J’examine quelquefois, écrit-il à cette époque, si je suis en démence, et en voyant la forte série, la suite d’idées si difficiles par laquelle je tâche de parer à tout, il me semble que je ne suis pas fou. Mais en quel endroit t’écrire ? dit-il à sa femme ; sous quel nom ? où demeures-tu ? qui es-tu ? comment t’appelles-tu ? quels sont tes vrais amis ? de qui dois-je faire les miens ? Ah ! sans l’espoir de sauver ma fille, l’atroce guillotine serait pour moi plus douce que mon horrible état. » C’est précisément pour sauver sa fille que Mme  de Beaumarchais a rompu momentanément tout commerce avec son mari, repris son nom de famille et ne s’occupe qu’à se faire oublier. « Comme mère, lui écrit-elle après la chute de Robespierre, j’ai dû tout employer pour soustraire mon enfant chérie au sort de tant d’innocentes et respectables victimes, réhabilitées aujourd’hui, regrettées, pleurées, mais que tant de regrets, tant de larmes et une justice tardive ne rappelleront pas. »

Au sortir de prison, après avoir vu la mort de si près, la femme, la sœur et la fille de Beaumarchais se trouvèrent dans une situation très difficile : tous les immeubles appartenant à l’auteur du Mariage de Figaro étaient séquestrés, tous ses revenus étaient saisis, tous les titres de créance qu’on avait trouvés dans son secrétaire, en vertu de la législation appliquée aux émigrés, avaient passé dans les mains des agens du trésor, qui en poursuivaient le recouvrement, et ses débiteurs s’empressaient, avant même que leurs dettes fussent échues, de s’en débarrasser en les payant à l’état en assignats. En un mot, cette déplorable affaire de fusils avait suffi pour porter un coup mortel à une brillante fortune péniblement acquise.

Cependant les immeubles séquestrés étaient menacés d’être ven-

  1. Il reçut bientôt après des fonds d’un correspondant d’Amérique.