Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/684

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donc par faire saisir lui-même son cher ami, et en lui rendant d’ailleurs la vie aussi douce que possible, il le fait enfermer dans la maison de détention pour dettes, dite Prison du banc du Roi. Un homme moins batailleur que Beaumarchais aurait pensé peut-être qu’en janvier 1793, au moment de comparaître devant la convention sous le poids d’une accusation capitale, ce n’était pas un grand malheur de se voir retenu de l’autre côté de la Manche, dans une prison peu dure, par un créancier affectueux et complaisant, qui ne le laissait manquer de rien ; mais à soixante ans l’auteur du Mariage de Figaro n’avait encore rien perdu de son ardeur militante. Il faut bien dire aussi que la convention tenait en otages et sa famille et sa fortune. Il ne songe donc qu’à venir recommencer devant ce terrible tribunal son éternel métier de plaideur, et tandis que le fidèle caissier Gudin, au milieu du désarroi de toutes les fortunes, s’occupe de lui procurer les fonds destinés à rembourser son créancier anglais, il consacre les loisirs forcés de son emprisonnement à rédiger un long mémoire à la convention ; en même temps il écrit au président de cette assemblée pour lui annoncer son prochain retour à Paris, déterminé qu’il est à se défendre lui-même contre les accusations de Lecointre. Quelques jours après, il arrive avec son mémoire, le fait imprimer à 6,000 exemplaires, l’envoie à toutes les sections de Paris, à tous les clubs, à toutes les autorités du moment, et ne craint pas de lutter de front contre l’impopularité qui l’accable. « Je suis venu, écrit-il au redoutable Santerre, alors commandant général de la garde nationale, en lui adressant son mémoire, je suis venu livrer ma tête au glaive de la justice, si je ne prouve pas que je suis un grand citoyen. Sauvez-moi, citoyen commandant, du pillage et du poignard, et je pourrai encore être utile à notre patrie. » D’autres se contenteraient de sauver leur fortune et leur tête ; cela ne suffit pas à Beaumarchais, il lui faut encore prouver qu’il est un grand citoyen. Ce qui est assez piquant, c’est que le grand patriote Santerre, qui, on le sait, avant de passer général, était brasseur dans le faubourg Saint-Antoine, semble avoir une certaine déférence pour son correspondant. Sa réponse, que nous reproduisons textuellement, annonce d’ailleurs qu’en fait de style et d’orthographe, ce grand patriote était à peu près de la même force que le duc de Fronsac.


« Citoien,

« Je reçois votre lettre et vos imprimés. Je n’ai jamais ajouté foy aux calomnies sur votre voyage de Londre ; je n’y ai vu qu’une démarche util à la république. Je ne vous ai connu que voulant faire le bien des pauvres. Je pense que vous n’avez pas à craindre le pillage ni le poignard ; cependant, malgré que la vérité ne soit qu’une, il est nécessaire d’éclairer ceux que nous croyons trompé.