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et modifia la situation politique de toute l’Europe. Il fit passer tous les cabinets du pied de paix au pied de guerre, et c’est à la lettre que l’auteur de l’Histoire du Consulat a pu écrire que « la sanglante catastrophe de Vincennes devint la cause de la troisième guerre générale. » La Prusse, prête à signer une convention avec la France, ne trouva plus même dans son égoïsme et sa cupidité habituels, assez de courage pour profiter de l’alliance du nouvel empire ; la Russie donna à ses sentimens une expression profondément blessante, et le bénéfice de quatre années de souplesse et d’habileté fut désormais perdu à Saint-Pétersbourg. L’Angleterre triompha de toute l’énergie de sa haine, de telle sorte que le trône impérial, accepté d’avance par l’Europe comme un gage heureux de stabilité, lui apparut, au lendemain de l’empire comme une menace adressée à toutes les vieilles dynasties. L’empereur Napoléon forma donc de sa main le nœud de la coalition européenne au moment même où le rapprochement de la Prusse avec la France pouvait asseoir sur des bases sûres et solides la paix du continent. Ainsi s’ouvrirent devant son règne des perspectives nouvelles au plus profond desquelles son regard avait plongé dès le premier jour de la lutte. Quelques mois en effet avant de reprendre les hostilités avec l’Angleterre, durant le plus violent paroxysme de sa colère, Napoléon traçait pour son ministre à Londres les instructions suivantes : « Vous êtes chargé de déclarer que si le ministère britannique a recours à quelque publication de laquelle il puisse résulter que le premier consul n’a pas fait telle ou telle chose parce qu’on l’en a empêché, à l’instant même il la fera… De quelle guerre nous menacerait-on ? On bloquerait nos ports, mais à l’instant même de la déclaration de guerre l’Angleterre se trouverait bloquée à son tour. Les côtes du Hanovre, de la Hollande, du Portugal, de l’Italie, jusqu’à Tarente, seraient occupées par nos troupes. Ces contrées, que l’on nous accuse de dominer trop ouvertement, la Ligurie, la Lombardie, la Suisse, la Hollande, au lieu d’être laissées dans cette situation incertaine, seraient converties en provinces françaises dont nous tirerions d’immenses ressources… Si on renouvelait la guerre du continent, ce serait l’Angleterre qui nous aurait obligés de conquérir l’Europe. Le premier consul n’a que trente-trois ans, il n’a encore détruit que des états du second ordre ! Qui sait ce qu’il lui faudrait de temps, s’il y était forcé, pour changer de nouveau la face de l’Europe et ressusciter l’empire d’Occident ? » Qu’on joigne à cette dépêche la prophétique parole adressée à l’ambassadeur d’Angleterre au moment où celui-ci quitta les Tuileries : Sachez bien que j’aimerais mieux voir vos armées à Montmartre qu’à Malte, et l’on pourra embrasser d’un seul coup d’œil la formidable histoire du grand règne qui va commencer.


LOUIS DE CARNE.