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jour. Celles-ci se révèlent en traits de flamme dans toutes ses paroles ; on les retrouve dans tous ses actes en Italie, dans toutes les phases de la négociation avec l’Angleterre, et bientôt après dans son attitude comminatoire devant l’Autriche et la Russie. Les hommes doués de quelque prévoyance auraient pu tirer le formidable horoscope de l’empire en le voyant sortir tout armé du camp de Boulogne, et naître dans une aspiration de vengeance sur ces grèves d’où le regard de l’aigle plongeait à travers les mers pour atteindre et dévorer sa proie.

En voyant cet empereur, acclamé de la veille au sein d’une armée prête à combattre, devancer dans son ardeur fébrile l’exécution des ordres transmis à ses flottes aux extrémités du monde, en observant les éclats de sa colère devant la résistance apportée à ses desseins par les mers et par les tempêtes, qui ne devine que si l’océan oppose à son audace une insurmontable barrière, le flot de ses tumultueuses pensées ira bientôt déborder sur l’Europe ? Qui ne voit déjà, en présence des insultes quotidiennes de l’Angleterre, que la victoire d’Austerlitz va devenir, à défaut d’une victoire à Londres, la conséquence et comme le complément du sacre de Notre-Dame ?

Depuis que la guerre des pamphlets a précédé celle des canons, depuis que des assassins qu’il croit soudoyés par l’Angleterre s’acharnent contre une vie qu’il présente à leurs coups sans crainte, mais non sans colère, une révolution profonde s’est opérée dans l’âme comme dans les projets de Napoléon, bravé à Londres, il ne consent plus à être critiqué à Paris ; il brise le tribunat, qu’il aurait été si facile de faire siffler ; au 3 nivôse, il impose aux répugnances universelles des grands corps de l’état des proscriptions aussi injustes qu’inutiles. Un jour on lui signale un vaste complot, on lui persuade que des princes le connaissent et y applaudissent, et qu’ils paraîtront à l’heure même où sa mort aura fait dans le monde un vide immense. Pour acquérir la preuve de ce complot d’où doit sortir un attentat contre sa vie, il viole le droit des gens, dont il avait eu naguère l’honneur de rétablir lui-même en Europe les traditions les plus importantes et les plus saintes ? puis, lorsque, par l’évidence des faits, l’erreur matérielle est reconnue, le vainqueur de l’Italie et de l’Égypte ne se trouve plus assez maître de lui-même pour reculer, et il aime mieux se montrer cruel que de s’avouer trompé. Il monte donc une tache au front au trône sur lequel il se fût assis une année auparavant plus grand par la pureté de sa vie que par l’éclat même de ses œuvres, et l’empire, en se fondant, traîne après soi devant le monde le double souvenir d’Ettenheim et de Vincennes !

La Providence si souvent tardive en ses justices, égala cette fois avec promptitude la grandeur des conséquences à la grandeur de la faute. Ce terrible épisode changea tout à coup le cours de l’opinion