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Trois personnages se disputent, nous ne dirons pas l’intérêt, mais la répulsion du spectateur. Louise de Nanteuil est une jeune fille noble et pauvre, que sa mère, en mourant, a laissée complètement sans ressources après lui avoir donné une éducation brillante, et avoir gaspillé dans les agitations d’une vie mondaine les derniers restes de sa fortune. On a soin de nous dire que Louise a été élevée à Saint-Denis et sa mère à Écouen. Ajoutez-y quelques années passées à Florence et à Naples, dans la société la plus dissipée de toute l’aristocratie européenne, et vous vous demanderez sans doute comment, avec de pareils précédens, Louise de Nanteuil est assez naïve, assez innocente pour permettre à un jeune et bel Anglais, Henri de Somerville, de la loger dans un charmant hôtel, au milieu de volières et de fleurs rares, pour accepter de lui, chaque matin, toutes les primeurs du luxe le plus raffiné, de l’élégance la plus dispendieuse, et pour s’étonner de bonne foi que le monde qualifie d’un nom brutal la situation que lui fait cette amitié, plus prodigue et aussi compromettante que l’amour. Voilà pourtant ce que l’auteur veut nous faire croire, sauf à en douter lui-même. Le personnage de Henri de Somerville n’est pas beaucoup plus logique que celui de Louise : on ne sait pas s’il l’aime comme un amant ou comme un frère. Rien d’abord, dans sa conduite, ne prouve qu’il soit auprès d’elle un bienfaiteur intéressé. Pourtant, lorsque son père vient le conjurer, au nom de son vieil honneur britannique, de faire cesser ce scandale et d’épouser sa cousine Elisa, Henri résiste, et pour qu’il obéisse, il faut qu’il entende la plus monstrueuse menace qui soit jamais sortie d’une bouche paternelle : il faut que ce duc, qui nous est représenté comme un type des traditions et des vertus de famille, annonce à son fils qu’il va se venger de sa résistance par le suicide. En ce moment même, — et c’est la meilleure scène de l’ouvrage, — Louise parait, apportant à Henri, pour le jour de sa fête, un portrait de Mme de Somerville, sa mère, la femme du duc, que celui-ci pleure avec une persévérance de désespoir qui le mine et parfois le frappe de vertige. Le duc, en voyant cette précieuse peinture offerte à son fils par la femme qu’il croit sa maîtresse, est attendri, ému, désarmé, et il pardonne à tous deux ; il finit même par les bénir, à la condition que Louise, richement dotée, se mariera, que Henri se séparera d’elle pour épouser sa cousine, et ne remettra le pied à Paris que quand Louise sera mariée. Telle est la première partie du drame. Nous ne sommes qu’à la fin du second acte, et déjà tous les sentimens qui méritent le respect sont, non pas attaqués, mais, ce qui est bien pire, falsifiés et frelatés. L’innocence, la candeur d’une jeune fille nous est montrée dans une position suspecte, flétrissante, s’appuyant d’un côté sur le souvenir d’une mère plus que mondaine, de l’autre sur les bienfaits déshonorans d’un jeune débauché. La dignité paternelle, l’esprit de famille, les saintes images du foyer domestique, aboutissent à une menace de suicide. Enfin ces deux affections pures et sacrées, la tendresse d’un époux pour sa femme, celle d’un fils pour sa mère, sont forcées, pour ainsi dire, de respirer le même air qu’une liaison coupable d’intention, sinon de fait. Elles acceptent pour intermédiaire, pour interprète, pour consolatrice, une femme que le père méprise et que le fils ne peut pas estimer.

La seconde partie de Louise de Nanteuil tient toutes les promesses de la