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littéraire, revenant d’une campagne d’Egypte pour proclamer sa dictature en faisant sauter les critiques par les fenêtres, ne serait-ce pas le moment d’avoir du génie, de rassembler ses forces, de se révéler tout entier dans un de ces ouvrages qui ferment la bouche aux mauvais plaisans ? Hamlet ou le Cid, Phèdre ou Wallenstein, ce n’était pas trop pour la circonstance. Hélas ! que nous sommes loin de Shakspeare et de Corneille, de Racine et de Schiller! Un opuscule qui trouve moyen de paraître long en durant trois quarts d’heure, une légende imitée d’Auguste Lafontaine, le Paul de Kock sentimental du germanisme bourgeois, abandonnée par les auteurs primitifs, oubliée dans les cartons, retrouvée par hasard, remaniée par un comédien et tombant enfin, on ne sait comment, entre les mains de l’auteur nommé de la pièce pour être jouée devant une salle assoupie et à moitié vide, — la belle conclusion après tant de fanfares et de bruit ! Le père officiel de Romulus annonçait par avance que son œuvre était très gaie, trop gaie peut-être; il semblait même craindre que cet excès ne lui nuisit auprès d’un public à qui Molière et Regnard ont appris à se méfier des gens qui le font rire. Nous avouons que, sous ce rapport du moins, ses craintes n’ont pas été réalisées. Les facéties un peu prolongées à propos d’Orion et de Leibnitz, les distractions un peu monotones du philosophe Wolf et de l’astronome Célestus, les alternatives de paternité, de séduction, d’enfant naturel, promenant l’imagination sur des idées fâcheuses, tout, jusqu’à la douleur de ce pauvre bourgmestre découvrant la faute de sa fille, a paru d’une hilarité douteuse, nous allions dire lugubre, parfaitement d’accord avec l’air de somnolente tristesse qui planait sur l’auditoire. Une scène plus romanesque que comique, où l’on a cru reconnaître une main fine et délicate qui n’est pas celle de l’auteur nommé, a seule sauvé la pièce des conséquences probables de cette gaieté exagérée. Il faut s’y résigner, Romulus n’est pas drôle, ou plutôt il y a quelque chose ou quelqu’un de très bouffon dans tout cela, mais ce n’est pas Romulus.

Nous serons plus sérieux en parlant de Louise de Nanteuil, qui soulève, selon nous, quelques réflexions applicables à la fois à l’état actuel du théâtre et aux allures de la critique. A chaque nouvel ouvrage de M. Léon Gozlan, on dirait que ses juges se donnent le mot, d’abord pour l’abuser sur son succès, ensuite pour le maintenir dans une voie déplorable, en exaltant son aptitude à faire réussir les données paradoxales et à se tirer des situations impossibles. Cette espèce de complot à l’amiable a le double inconvénient de discréditer la critique, dont les jugemens peuvent ainsi se pressentir et se formuler d’avance, et d’égarer de plus en plus un honorable écrivain qui a souvent donné des preuves d’un talent vraiment original et d’une verve de bon aloi. Il semble qu’on prenne plaisir à le piquer au jeu, à l’intéresser dans une gageure contre la vraisemblance, le naturel et le bon sens, de façon à ce que chacune de ses pièces renchérisse sur la pièce précédente. Si c’est là le but qu’on se propose, Louise de Nanteuil paraît l’avoir atteint, et même un peu dépassé. Cette œuvre étrange n’est que trop fidèle à la loi de progression que les vrais amis de M. Gozlan ont le chagrin de constater dans son répertoire dramatique : elle ressemble en effet à une gageure; reste à savoir si l’auteur l’a gagnée.