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s’at- naturellement à notre situation financière. Une récente publication officielle faisait connaître cette situation au point de vue du budget, et sous ce rapport elle n’aurait rien que de rassurant. En 1853 encore, les recettes ont augmenté de 74 millions. Les revenus indirects seuls ont donné 42 millions de plus que dans l’année précédente. Le budget de 1851 avait laissé un déficit de 101 millions, le déficit de 1852 ne s’est élevé qu’à 26 millions, celui de 1853 ne paraît devoir être que de 4 millions environ. Il y aurait donc une progression décroissante qui tendrait à ramener le budget à l’équilibre. Reste seulement l’imprévu, qui peut imposer des charges nouvelles sous la forme de dépenses extraordinaires, et ces dépenses extraordinaires elles-mêmes, comment y pourvoirait-on, si ce n’est par des moyens extraordinaires ? C’est sans doute pour répondre aux premières nécessités de cette situation que le gouvernement élevait récemment à 3 1/2 pour 100 l’intérêt annuel des bons du trésor. Dans ces derniers temps, comme on sait, cet intérêt avait été singulièrement réduit, dans la pensée d’éloigner l’argent du trésor, qui n’en avait pas besoin, et de le faire refluer vers toutes les entreprises d’utilité publique. Les circonstances sont changées aujourd’hui. À ce point de vue, comme au point de vue des intérêts plus élevés de la civilisation morale et de la sécurité de l’Occident, il y a donc une nécessité évidente de ne point laisser se prolonger une incertitude qui paralyse tout sans compensation, et qui n’aurait en définitive ni les avantages de la paix ni les avantages de la guerre.

Quelles que soient cependant les préoccupations actuelles, c’est le propre d’un peuple qui sent la vie palpiter en lui de ne point se laisser absorber dans une pensée unique, de mener encore de front les affaires de l’intelligence et les affaires de la politique. Que la politique active suive la carrière que les événemens lui tracent, soit, — et en même temps que le génie de la littérature et des arts ne cesse d’accomplir son œuvre, interrogeant le passé, éclairant l’histoire, jugeant les hommes et les choses, représentant la vie humaine dans des fictions émouvantes, ou peignant dans quelque récit les contrées visitées par le voyageur. Mais ce travail régulier et fécond, c’est là justement ce qui est le plus difficile dans une société où les crises intellectuelles se mêlent depuis si longtemps aux crises morales et politiques accumulées. Quand un peuple a trempé son esprit dans toutes sortes d’inventions malsaines et d’habitudes équivoques, il ne s’arrache pas en un jour à ce chaos et à cette anarchie ; il ne se retrouve pas subitement avec ses facultés libres, rajeunies et toutes prêtes à entreprendre des œuvres nouvelles. Il en résulte que la vie littéraire, elle aussi, a ses périodes où, à côté des efforts les plus méritoires et les plus justes, se révèlent nous ne savons quelles mœurs violentes et sans scrupule. Ce sont toutes les vanités irritées qui se redressent, les rancunes aigries, les grandes et les petites impuissances acharnées à simuler la vie, les petites vengeances longuement préméditées, et qui au besoin vont faire le tour du monde. Comment ne point remarquer le faible le plus actuel de beaucoup de ces esprits pour qui l’âge ne vient pas, à qui aucune leçon ne profite ? Pour le moment, ils ont l’ambition d’être jeunes : ce sont en vérité d’agréables Céladons littéraires, qui accableraient volontiers tout ce qui n’est point eux de leur jeunesse d’un demi-siècle. Ils