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accusées avec une rigueur qui s’atténue dans le modelé des figures voisines. A mesure que celles-ci se rapprochent du centre, le cuivre est moins énergiquement fouillé, les tailles ont plus de légèreté et de souplesse, et en se modifiant ainsi, les travaux arrivent insensiblement à la délicatesse et à la douceur dans les figures placées au milieu.

L’intensité du coloris et de l’effet est proportionnée partout à cette vigueur décroissante du procédé. Les tons, à partir des côtés jusqu’à la partie centrale, passent successivement de l’apparence solide à la limpidité absolue et se déduisent les uns des autres comme les modulations consécutives d’une série d’accords. Afin que rien n’interrompît cette marche de l’effet, M. Henriquel-Dupont, dans l’impuissance où il était d’user des mêmes ressources que le peintre, a dû changer çà et là quelque chose aux partis de couleur adoptés par M. Delaroche. Pour ne citer qu’un exemple, la figure de femme qui lance des couronnes se détache du fond par le vif accent des lumières, au lieu d’être, comme dans la peinture, plus fortement teintée que les marches qui s’élèvent derrière elle. Une pareille modification, si radicale qu’elle soit, n’a rien que de louable, parce qu’en élargissant ainsi la lueur répandue sur la partie centrale de la composition, M. Henriquel-Dupont a achevé de déterminer l’effet clair auquel devait se subordonner et aboutir le ton progressivement adouci des deux parties latérales. Néanmoins, tout en applaudissant au succès de la tentative, nous nous garderons bien d’admettre en général la légitimité de ces infidélités au modèle. De nos jours, où dans les questions d’art comme ailleurs on recule si volontiers la limite des droits, quitte à oublier quelque peu de définir les devoirs, il serait moins à propos que jamais d’approuver à titre de principe ce qui n’est tout au plus qu’une licence permise en quelques rares occasions. Le strict rôle des graveurs est et doit rester un rôle de traducteurs. Il ne leur appartient pas de se substituer aux peintres et de transformer à leur gré l’œuvre qu’ils ont à reproduire. Ils peuvent seulement, à l’exemple de M. Henriquel-Dupont, essayer de compléter le texte et quelquefois en rendre le sens par une expression détournée, faute d’équivalent dans leur propre idiome, mais ils ne sauraient recourir à ce moyen extrême que dans les cas de nécessité absolue et oublier jamais que leur émancipation même doit avoir l’apparence de la soumission.

L’estampe de l’Hémicycle résume à merveille ces lois et en même temps ces franchises de l’art. Exactement conforme, quant au dessin et au style, à la peinture qui lui a servi de modèle, elle n’a nullement le caractère servile d’une copie; d’autre part, la liberté avec laquelle certains détails sont interprétés ne dégénère pas en écarts de sentiment ou en ostentation d’originalité. S’ensuit-il que l’œuvre de M. Henriquel-Dupont soit irréprochable de tous points ? C’est ce que nous n’oserions prétendre. Quelque large que soit la part