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dans ce congrès des maîtres illustres : encore se tiennent-ils à l’arrière-plan, comme s’ils craignaient de se fourvoyer en si haute compagnie, et n’ont-ils d’autres interlocuteurs qu’eux-mêmes. Avec quel regret, soit dit en passant, M. Henriquel-Dupont a-t-il dû contre-signer en quelque sorte l’espèce d’ostracisme décrété par M. Delaroche, et combien lui en aura-t-il coûté pour laisser à cette humble place des hommes tels que Marc-Antoine et Édelinck, alors qu’il voyait se prélasser à des places d’honneur certains peintres ou statuaires moins inspirés peut-être, moins inventeurs que de pareils copistes !

La composition de M. Delaroche a donc une physionomie complexe. Toute la partie centrale est traitée dans un style héroïque : elle n’implique que des idées de majesté absolue et n’exprime qu’une immobilité solennelle au-dessus du fait humain et de la vie. Partout ailleurs la vie circule, les figures se meuvent. Il n’y a pas là sans doute les lignes désordonnées et l’agitation de la foule ; mais il y a dans la distribution de ces groupes, dans le geste et l’attitude de ces personnages un souvenir très formel de la réalité. Or, lors même qu’on n’admettrait pas sans réserve le programme de M. Delaroche, lorsqu’on ne souscrirait pas complètement à l’intention qu’a eue le peintre de mélanger ainsi deux élémens contraires, on avouerait du moins que les inconvéniens de ce système sont atténués en raison même des dimensions de la peinture et de sa forme circulaire. Comme le regard impuissant à saisir tout l’ensemble est forcé de s’arrêter tour à tour sur chaque fragment, il passe sans trop de secousse du spectacle de la grandeur épique au spectacle de la vérité pure ; il se promène du centre aux extrémités de ce vaste panorama, et, chemin faisant, il a le temps d’oublier la diversité des expressions, des costumes, en un mot l’apparence contradictoire des objets représentés. Mais dans une estampe, c’est-à-dire sur une surface dont l’œil embrassera l’étendue d’un seul coup, ces divergences de style ne manqueront pas de se produire avec plus d’évidence, et le graveur devra nécessairement en modifier l’effet, sous peine de morceler le sens de son œuvre et de nous faire voir une suite de sujets de différens genres là où il avait à nous montrer une seule scène.

Un autre écueil non moins dangereux pour le graveur était la froideur de coloris où il pouvait tomber. Si l’œuvre originale procède à beaucoup d’égards des exemples de la réalité, elle a cependant dans l’aspect général quelque chose d’abstrait et de sagement monotone qui convient à une peinture murale, mais qui, en dehors de la forme, offre peu de ressources aux travaux du burin. Les figures se détachent sur un fond d’architecture en marbre blanc ou sur un ciel lumineux. Eclairées de face et placées presque au même plan, elles se présentent toutes, ou peu s’en faut, dans les mêmes conditions