Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du jeune artiste. Non-seulement il lui avait fallu renoncer à des études de son choix, mais il s’agissait maintenant pour lui d’un pénible apprentissage technique, d’études arides que les graveurs de ce temps circonscrivaient dans les limites du procédé, et qui ne pouvaient inspirer qu’une répugnance profonde à un homme nourri, auprès des élèves de Guérin, dans l’horreur de la convention et de la manière. Ce qu’on appelait alors le beau grain, c’est-à-dire la prédominance du moyen matériel sur la forme même, — la manœuvre facile, c’est-à-dire l’ostentation de la dextérité, — était, aux yeux de tous, l’expression suprême de la science; on dédaignait l’art sain et les sévères exemples des graveurs français du XVIIe siècle pour l’habileté sans fond et les faux chefs-d’œuvre des graveurs italiens du XIXe M. Desnoyers, il est vrai, et, avant lui, M. Tardieu, avaient entrepris de restituer à l’école sa vieille physionomie nationale, mais leurs savans efforts étaient demeurés presque sans influence sur les artistes de notre pays, tandis que Morghen rencontrait parmi eux des imitateurs sans nombre et de fervens admirateurs. Les élèves de Bervic n’avaient eu garde de se soustraire à ce détestable empire exercé en France par le graveur napolitain. Ils cherchaient de tout leur cœur dans les évolutions d’un outil ce qu’il faut demander au goût et aux calculs de la pensée; ils ne s’appliquaient qu’à assouplir leur faire en faisant bon marché du sentiment, du style, du dessin, — le tout, il faut le dire, en dépit des vives remontrances de leur maître, qui se repentait hautement de ses erreurs, et qui poussait l’abnégation personnelle jusqu’à recommander expressément à ses élèves de ne voir dans les œuvres qu’il avait produites que des fautes à éviter. On le voit, il était dans la destinée de M. Henriquel-Dupont d’avoir pour maîtres deux hommes qui n’agiraient sur son talent qu’en sens contraire de leurs propres exemples; seulement il ne s’agissait plus ici, comme dans l’atelier de Guérin, de faire cause commune avec des disciples insurgés : c’était le maître lui-même qui relevait ses élèves du serment de fidélité et leur prescrivait de s’écarter de la voie qu’il avait suivie. M. Henriquel-Dupont usa largement de la permission, si largement même qu’un autre que Bervic eût été tenté peut-être d’apporter quelque restriction à ses avis et de trouver un peu d’excès dans ce nouveau genre d’obéissance. Le digne artiste, au contraire, ne songea pas à se démentir. Il encouragea jusqu’au bout l’aversion de son élève pour les doctrines académiques, et lorsque, après quatre années d’apprentissage, le jeune graveur entreprit de produire son talent devant le public, il ne se trouva ni plus autorisé ni plus libre qu’il ne l’avait été dans l’atelier même de Bervic.

Les premiers travaux qu’ait signés M. Henriquel-Dupont sont