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chapitres destinés à consacrer, aux yeux de la foule ignorante, la mission providentielle de Taï-ping; peut-être aussi espéraient-ils que les Européens, abusés par les apparences d’une sorte de fraternité religieuse, viendraient à leur aide. Je crois que l’on ne doit point chercher ailleurs l’origine et le sens de la prétendue foi des rebelles; les protestans, dont la propagande a obtenu jusqu’ici très peu de succès en Chine[1], sont tout à fait étrangers, de même, que les catholiques, aux niaiseries religieuses colportées par l’insurrection.


III.

Pendant que l’armée de Taï-ping triomphait sur les rives du Yang-tse-kiang, les contrées du littoral étaient parcourues par des bandes nombreuses qui, sous prétexte de combattre la dynastie tartare, y commettaient les plus affreux désordres. De leur côté, les pirates, qui ont de tout temps infesté les mers du Céleste Empire, se donnaient libre carrière.

La cour de Pékin avait concentré ses meilleurs soldats autour de Nankin et de Chin-kiang-fou pour tenir tête à la grande armée partie du Kwang-si; dans les autres provinces, les troupes étaient en pleine débandade, les mandarins n’avaient plus conservé aucune influence, les caisses publiques étaient à peu près vides, les communications interceptées, le commerce nul. Aussi apprit-on sans étonnement, dès les premiers jours de mai 1853, qu’une troupe d’insurgés s’approchait d’Amoy avec le projet d’attaquer ce port, défendu seulement par quelques jonques et par une garnison indisciplinée.

Amoy est le principal port de la province du Fokien. C’est une grande ville où se presse, dans des rues sales et étroites, une population misérable, périodiquement décimée par le choléra et par les fièvres; mais sa position géographique et les dispositions favorables de la rade, abritée contre tous les vents, y ont attiré le commerce. Aussi, lors de la conclusion du traité de Nankin, Amoy fut-il compris au nombre des cinq ports où les Européens pourraient s’établir. Les Anglais y ont un consulat et quelques maisons importantes qui se livrent au commerce du thé ou de l’opium et au transport des émigrans engagés pour les cultures des Antilles. Le sol de la province étant peu fertile, plusieurs milliers de Fokienois vont, chaque année, chercher aventure dans les colonies étrangères.

Le gouverneur d’Amoy avait été prévenu de l’approche des insurgés; il en avertit le consul anglais, et en même temps il l’engagea à tranquilliser ses nationaux, en promettant, selon l’usage, que les troupes impériales repousseraient l’ennemi. Le consul, M. Backhouse, n’en crut pas moins devoir conseiller aux négocians de pourvoir à leur sûreté, et de se retirer à bord des navires qui se trouvaient en rade. Il n’avait pas la moindre confiance dans les fanfaronnades des officiers chinois. En effet, le 18 mai, 3,000 hommes environ firent leur entrée dans le port. Leurs bateaux, ornés de drapeaux rouges, passèrent intrépidement devant les jonques de guerre : l’amiral tartare fit

  1. La plus ancienne mission protestante, London Missionary Society, a commencé ses travaux en 1807. Aujourd’hui 42 sociétés distinctes envoient des représentans dans les ports chinois. Depuis 1807, 150 missionnaires sont venus en Chine; il en restait 78 à la fin de 1851 (44 américains, 23 anglais, etc.). La statistique des missions catholiques est beaucoup plus considérable. (Chinese Repository, vol. XX, p. 513.)