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et douloureux tressaillement; puis la vue de Gertrude évanouie le jeta dans un trouble qu’il n’avait pas encore connu. — Je suis de trop ici, dit-il à son cousin; je vous quitte, je reviendrai demain savoir de ses nouvelles. Depuis quelques jours, sa santé m’inquiétait; mais j’espère, je suis sûr pourtant que c’est un malaise passager : ce serait trop affreux s’il en était autrement. Soignez-la, empêchez surtout, quand elle reviendra à elle, qu’elle ne parle, qu’elle ne s’exalte, car c’est une imagination exaltée, voyez-vous... Les femmes... Et il s’enfuit.

«Les femmes, pensa-t-il quand il fut dehors, regagnant la ville au galop, ne se ressemblent guère; voici la première fois que j’en rencontre une qui prenne aussi sérieusement la vertu; si j’avais su ce qu’elle devait souffrir, je l’aurais laissée à son ange gardien. » Puis il se dit : «Après tout, sais-je ce qui l’emporte du bonheur qu’elle goûtait il y a quelques jours, ou de sa souffrance d’aujourd’hui ?» Malgré ce raisonnement, quand il fut rentré chez lui, il chercha vainement le repos. Pour remplir des heures dont le sommeil ne voulait pas, il prit le parti d’écrire; et comme ce n’était pas un homme bizarre, quoiqu’on lui ait reproché souvent une originalité trop vive, disait-on, comme ce n’était pas un homme bizarre précisément parce qu’il avait toutes les bizarreries de la nature humaine, il écrivit à Mme de Hautcastel, qu’il négligeait fort depuis longtemps. Sa lettre se ressentit, est-ce étonnant ? des impressions sous lesquelles il était; la fièvre des tendres émotions y colorait chaque parole. Quand il eut fini cette épître, il s’endormit — en même temps las et soulagé. Le lendemain, il se rendit chez Gertrude. Elle ne pouvait pas le recevoir, elle avait eu du délire la nuit, et maintenant on craignait pour elle une de ces maladies violentes qui se produisent sans cesse sous le ciel d’Afrique. Gérion, qui lui donnait de ses nouvelles, le reconduisit jusqu’au seuil de sa maison. En lui disant adieu, il eut la pensée de lui demander un rapport sur une affaire de service. Thierry tira de sa poche et remit à son colonel la lettre qu’il avait écrite la nuit.

Le soir, Gertrude allait beaucoup mieux; tout péril semblait conjuré. Gérion, qui était à son chevet, la soignait avec une sollicitude touchante et dévouée; seulement, comme d’ordinaire, il avait peu de choses à lui dire : le médecin lui avait assuré qu’elle avait besoin avant tout d’être distraite. Tout à coup il sourit complaisamment,» comme un homme à qui vient de s’offrir une pensée ingénieuse. — Gertrude, lui dit-il, je vais être indiscret, mais le docteur veut que l’on vous amuse; il faut avant tout que j’obéisse à son ordonnance : mon indiscrétion sera sur le compte de la faculté. — Après cet exorde en style enjoué, il s’arrêta un instant, puis reprit : — Devineriez-vous jamais ce que notre cousin Pérenne, qui est un franc étourdi, m’a remis ce matin à la place d’un rapport que je lui avais