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et une âme douce, bonne, spirituelle, gracieuse, digne d’habiter le beau corps où le ciel l’avait placée. On aurait fait facilement une liste plus longue que celle de don Juan de tous les hommes qui s’étaient épris d’elle, et, je dois le dire, une liste assez longue aussi de ceux qu’elle n’avait pas laissés souffrir. Quand je la connus, son humeur clémente durait encore, et j’en profitai. Malheureusement à cette époque la jeunesse avait pris congé d’elle, sans brusquerie cependant, sans dureté, comme un beau jour se sépare d’une campagne embaumée, en laissant s’attarder sur la cime des arbres quelques-uns de ses plus doux rayons. J’ai donc tort, en vérité, de dire malheureusement. Je ne sais pas si dans l’aimable histoire de ce cœur je voudrais changer la date de mon règne. Certainement elle me fit connaître un bonheur qu’elle n’avait donné à personne avant moi. Ceux que nous aimons sont toujours un peu les créations de notre tendresse. Je fus le dernier né de son amour, et de là cette adorable bonté dont je vais vous donner la preuve.

Par un hasard singulier, tandis qu’un si grand nombre de ses aventures les plus éphémères avaient occupé le public, nos sérieuses et longues amours, — je l’ai aimée pendant deux années, — étaient restées secrètes. Je l’avais connue en Italie, où nous nous étions promenés comme Oswald et Corinne, fuyant les hommes, n’associant au bonheur dont toute notre vie était éclairée que les merveilles de la nature et de l’art. Un jour il arriva que je l’aimai moins, et elle s’en aperçut. Nous étions au bord d’un lac, dans une maison où un soir nous étions arrivés tous deux l’âme remplie d’une joie qui nous semblait immortelle. Il y avait de cela un mois, et l’un de nous avait immolé malgré lui aux dieux ingrats et légers. Je voulus vainement lui cacher une inconstance dont j’étais moi-même navré; elle me dit ce que jamais je n’aurais pu dire, avec un sourire qui aurait ranimé mon culte pour elle, si la plus morte de toutes les choses n’était point une religion expirée. Le lendemain, en me réveillant, j’appris, par un billet que l’on me remit dans mon lit, qu’elle m’avait quitté. — «Notre séparation, me disait-elle, est maintenant accomplie; seulement je ne vous ai pas fait mes adieux, cher enfant, et je vous les ferai. Je serai à Paris au mois de janvier, venez m’y rejoindre; puis ma vie finira, et la vôtre commencera; mais mon couchant et votre aurore se seront un instant éclairés des mêmes feux. » Un moment je voulus la suivre; je rejetai cette pensée : je ne savais point où elle avait dirigé sa course. D’ailleurs elle m’avait deviné : mon amour était devenu poussière; pourquoi aller jeter à ses pieds cette cendre qu’elle avait eu raison de quitter ? Je me résignai. Je passai en Italie un triste automne; puis, au temps qu’elle m’avait indiqué, j’allai à Paris. Je la trouvai là dans l’appareil des jours les plus splendides