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mauvaise organisation du travail rural : c’est une semence qui exige pour prospérer de bonnes conditions économiques. Ces conditions étant désormais possibles, le moment de donner utilement un grand essor à l’enseignement est arrivé; de tous côtés s’élèvent des fermes-écoles, chaque comté en possède plusieurs. On a de plus organisé des cours nomades; de nouveaux missionnaires vont porter dans les plus pauvres villages la prédication agricole, on répand jusque dans les chaumières de petits livres à très bon marché. Rien n’est épargné pour porter à la connaissance du peuple les deux ou trois principes qui sont la base de la science, la théorie des assolemens, le bon emploi des engrais et amendemens, l’art d’élever et d’engraisser le bétail.

Un des exemples les plus remarquables du nouveau système qui tend à s’établir est l’état actuel de l’immense propriété que possède dans le comté de Kerry un des hommes les plus justement respectés de l’Angleterre, lord Lansdowne; cette terre n’a pas moins de 100,000 acres anglais ou 40,000 hectares : la plus grande partie est en montagnes qui peuvent faire d’excellens pâturages, mais qui ne sont pas également propres à la culture; un vingtième seulement de cette superficie peut être cultivé avec avantage. Lord Lansdowne ne retirait rien autrefois de cette propriété; une population de plus de 16,000 âmes s’y était développée, et malgré les efforts persévérans du propriétaire, qui dépensait en aumônes tout son revenu, et quelquefois davantage, elle y vivait misérablement. Quand la famine est venue, un quart de cette population a péri, soit par la faim, soit par les maladies, sans qu’il ait été possible de la secourir; depuis, un autre quart a émigré. Grâce à l’argent qui arrive d’Amérique et aux avances que fait de son côté lord Lansdowne pour faciliter l’émigration, ce qui en reste de trop s’écoule avec une telle rapidité, que, dans peu de temps, elle sera probablement réduite des sept huitièmes, c’est-à-dire à 2,000 âmes seulement. On estime que la terre ne peut nourrir convenablement que ce nombre, et qu’il ne faut pas plus de bras pour la mettre en valeur. Les chaumières des anciens habitans, qui ne valaient pas 50 shillings chacune, tombent sous le marteau, et à leur place s’élèvent des maisons moins nombreuses, mais plus comfortables pour les nouveaux tenanciers.

C’est toujours le système des cottiers, ou petits fermiers, qui sera suivi chez lord Lansdowne, car encore un coup il ne paraît pas qu’il y en ait d’autre de possible en grand; mais l’application de ce système permet d’être à l’avenir aussi avantageuse, soit pour le propriétaire, soit pour le tenancier, qu’elle a été jusqu’ici désastreuse pour tous. Au lieu de 3,000 fermes, de 13 hectares environ chacune, il y en aura en tout 400, de 100 hectares; l’étendue cultivée sera réduite à ce qui peut payer largement les frais de culture, c’est-à-dire à 5 ou 6