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Cette amélioration radicale dans les rapports des propriétaires et des tenanciers n’était pas possible en grand sans une sorte de révolution dans la propriété. Même en leur supposant des intentions plus éclairées et plus libérales que par le passé, la plupart des propriétaires irlandais, déjà obérés, ne pouvaient plus rien, ils avaient épuisé leur crédit et leurs ressources. Le gouvernement anglais s’est décidé alors à ordonner une liquidation générale. Cette mesure, la meilleure de beaucoup de toutes celles qui avaient été proposées, a cet avantage, que, sans toucher au principe de la propriété, elle permet d’atteindre les résultats désirés. Ceux des propriétaires qui ne l’étaient plus que de nom disparaîtront, et à leur place viendront de véritables possesseurs qui pourront faire des sacrifices. Ce changement de personnes doit d’ailleurs permettre de rompre les substitutions, de diviser les terres trop étendues, de débrouiller le chaos de droits contradictoires, qui s’accumule toujours autour des immeubles frappés de main-morte, et d’enlever à la propriété irlandaise une partie des souvenirs odieux qui s’y rattachent, en brisant la chaîne des traditions : avantages précieux et décisifs, qu’on achète sans doute par les embarras d’une liquidation forcée, mais qui doivent en définitive sauver la propriété irlandaise en lui ôtant son caractère exceptionnel. M. Gustave de Beaumont, qu’il faut toujours citer quand il s’agit de l’Irlande, avait signalé des premiers la nécessité de cette révolution.

En conséquence, une loi rendue en 1849 par le parlement a institué une commission royale de trois membres pour la vente des propriétés endettées en Irlande, commission for sale of encumbered estates in Ireland. Les pouvoirs de cette commission n’étaient d’abord que pour trois ans, mais ils ont été prorogés une première fois pour un an, et ils viennent de l’être encore. Ils consistent à faire vendre aux enchères, sur la simple pétition d’un créancier ou du propriétaire lui-même, et dans la forme la plus sommaire, les propriétés hypothéquées, et à délivrer à l’acquéreur ce qu’on appelle un titre parlementaire, c’est-à-dire parfaitement légal et indiscutable, qui lui confère la propriété absolue, ce qu’on appelle en anglais fee. Ceux qui avaient auparavant des droits sur la terre n’en ont plus que sur le prix; la commission est chargée d’examiner la validité de leurs titres et de leur distribuer ce qui leur revient. Les opérations de la nouvelle cour ont commencé avec le mois de novembre 1849; trois ans après, au mois de novembre 1852, elle avait reçu 2,554 pétitions pour la vente d’autant de propriétés, représentant ensemble une rente annuelle de 34 millions de francs, et chargées d’hypothèques pour 760 millions de francs, c’est-à-dire pour la presque totalité de leur valeur. A l’a même époque, un tiers environ des