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d’autant plus obstinée à rester catholique que l’Angleterre ne l’était plus. La guerre des deux nationalités avait pris le caractère d’une guerre religieuse, la plus impitoyable de toutes, parce qu’elle donne à des intérêts et des passions terrestres l’excuse apparente de la foi. Après des efforts inouïs, l’Angleterre était parvenue à établir en Irlande un cinquième de protestans; les quatre autres étaient catholiques. Les premiers résidaient presque tous dans les villes, les seconds peuplaient les campagnes. Les propriétaires étant en général protestans et les cultivateurs catholiques, aucun lien ne pouvait exister entre ces deux classes. Tout les séparait Les confiscations, qui avaient rendu les uns maîtres du sol et réduit les autres à la condition d’ilotes, n’avaient pas pu s’accomplir sans d’épouvantables massacres. Ces souvenirs sanglans, toujours ravivés par les persécutions légales, poussaient jusqu’à la frénésie l’animosité réciproque. Les propriétaires se gardaient bien d’habiter leurs terres, où ils , auraient couru des dangers personnels; leurs représentans, les middlemen, n’y résidaient pas davantage par la même cause; les uns et les autres pressuraient de loin sans scrupule un peuple détesté, qui leur répondait par des malédictions et souvent par des meurtres.

Outre sa nécessité absolue comme instrument de progrès, la rente se justifie, dans la plupart des pays civilisés, par les capitaux que le temps a enfouis dans le sol. Il y a très peu de terres, soit en France, soit en Angleterre, dont la valeur actuelle représente autre chose que ces capitaux, souvent même leur valeur est loin de représenter la totalité des capitaux absorbés. En Irlande, la propriété n’avait pas cette justification, qui aurait pu légitimer son origine révolutionnaire. La rente ne servait à aucun progrès sur place, et elle n’était le produit d’aucun capital, puisque le propriétaire avait soin de ne faire aucune dépense. Elle se montrait dans toute la brutalité de la force, et n’était au fond, comme tout le reste de la constitution irlandaise, comme la dîme du clergé protestant imposée à la population catholique, qu’un moyen de guerre et d’oppression.

Les substitutions rigoureuses, qui avaient ici un but spécial en sus de leur but aristocratique ordinaire, contribuaient à aggraver ce caractère odieux de la rente. Un petit nombre de propriétés avaient pu passer de main en main et perdre dans ces mutations volontaires leur signification primitive; le reste remontait par une filiation directe à quelqu’une de ces dates néfastes inscrites dans le cœur des Irlandais comme les momens les plus douloureux de leur longue torture.

Par une autre conséquence de l’état de guerre, l’Angleterre avait étouffé en Irlande toute espèce d’industrie et de commerce. Elle comprend aujourd’hui la faute qu’elle a commise, et elle commence à revenir sur ses pas, quoique lentement et avec des retours de l’antique défiance. Dans le passé, elle a partagé complètement