Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Réparti sur la population totale de l’île, le produit agricole total donnait 100 francs par tête, tandis qu’en France le même dividende s’élevait à 140 francs, en Angleterre et en Écosse à 200. Répartie sur la population laborieuse rurale, la somme des salaires donnait 80 francs environ par tête, tandis qu’en France la même répartition était de 125 francs, en Angleterre de 160 et en Écosse de 200.

Ce qui ressort de ces chiffres, c’est l’insuffisance de la production par rapport à la population en général et à la population rurale en particulier. En France, notre population totale n’atteignait que 66 têtes humaines par 100 hectares, tandis qu’en Irlande elle s’élevait à 100, et notre population rurale n’équivalait à surface égale qu’aux deux tiers de la population rurale irlandaise. En Angleterre, la population totale était plus nombreuse, mais pour un produit rural double, et la population rurale n’arrivait qu’à la moitié de celle de l’Irlande. En Écosse, les proportions étaient meilleures encore. Remarquons en outre, en faveur de notre pays, que la population rurale française ne vit pas seulement de salaires, elle y joint une portion considérable de la rente, puisqu’elle est propriétaire d’une partie du sol, ainsi qu’une portion du bénéfice, puisqu’elle comprend les fermiers et métayers, tandis qu’en Irlande, les paysans n’étant pas propriétaires et les fermiers ou middlemen appartenant à la population urbaine, la population rurale vivait uniquement de ce qui représentait les salaires. J’entends en effet par salaires tout ce qu’on abandonnait aux petits tenanciers pour rétribuer leur travail, et qui, sans leur être payé sous la forme de salaires proprement dits, constituait cependant de véritables salaires, puisque la rémunération du capital et de l’habileté agricole n’y entrait pour rien.

On a souvent accusé la rente d’être montée en Irlande à un taux exagéré. Les paysans irlandais avaient même imaginé un mot très expressif pour rendre cet excès de la rente, ils l’appelaient rack-rent, la rente-torture. Il y avait sans doute du vrai dans cette accusation, mais ce n’était pas le taux en lui-même qui la méritait. On voit en effet que la rente n’atteignait en Irlande, comme en France, en Angleterre et même en Écosse, que le tiers environ du produit brut; elle n’était d’ailleurs que nominale dans un grand nombre de cas; la somme réellement perçue tombait au quart, au cinquième du produit net, et peut-être plus bas encore. Une telle rente eût à peine suffi pour nourrir, dans un état bien constitué, la population non rurale; avec une meilleure organisation, elle aurait plutôt dû s’élever que descendre.

On ne pouvait non plus imputer la misère des cultivateurs à la faible part des salaires dans la répartition. Non-seulement cette part s’élevait en principe à la moitié du produit brut, tandis qu’elle n’est