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I.

L’Irlande se divise en quatre grandes provinces qui formaient autrefois autant de royaumes : l’Ulster au nord-est, le Leinster au sud-est, le Munster au sud-ouest, et le Connaught au nord-ouest. La plus riche des quatre, au point de vue agricole, était le Leinster, où se trouve Dublin; après, venait la moitié environ de l’Ulster, où est Belfast; puis le Munster, où sont les deux ports de Cork et de Limerick; enfin le Connaught avec une partie de l’Ulster, un des plus pauvres et des plus sauvages pays de la terre. Entre le comté de Meath, en Leinster, où la rente moyenne s’élevait à 100 francs l’hectare, comme dans les meilleurs comtés anglais, et celui de Mayo, en Connaught, où elle tombait à 10 francs, le rapport était de 10 à l. En Ulster, les comtés d’Armagh, de Down et d’Antrim, qui se groupent autour de Belfast, — en Munster, ceux de Limerick et de Tipperary, les plus fertiles de l’Irlande, rivalisaient pour le produit avec le Leinster; mais, même dans les cantons les plus productifs, la pauvreté du cultivateur était visible et réagissait sur la terre. Le défaut de capital frappait les yeux à peu près uniformément; la richesse naturelle du sol en tenait lieu sur les points privilégiés; sur ceux où cette ressource échappait, la misère devenait affreuse.

Des deux espèces de capitaux matériels qui concourent à la production rurale, le premier, le capital foncier, celui qui se compose des travaux de tout genre accumulés avec le temps pour la mise en valeur du sol et incorporés avec lui, bâtimens, clôtures, chemins, amendemens, desséchemens, appropriations aux cultures spéciales, manquait presque absolument. Les parcs des riches propriétaires étaient entretenus à peu près avec le même soin qu’en Angleterre; mais tandis qu’en Angleterre il est souvent impossible de distinguer le point où finit le parc et où commence la ferme, un contraste affligeant apparaissait dès qu’on sortait de l’enceinte réservée. Plus de fossés d’écoulement, d’arbres, de haies, de clôtures soignées, de chemins propres et bien tracés; partout la terre nue, abandonnée, n’ayant reçu de l’homme d’autre travail que celui qui était absolument nécessaire; plus de ces jolies maisons de ferme anglaises que recouvrent la clématite et le chèvrefeuille, avec leurs dépendances toujours commodes et souvent élégantes, et à leur place des chaumières en terre, que le tenancier élevait lui-même et que le maître ne réparait jamais.

Le second capital, le capital d’exploitation, qui se compose du bétail, des instrumens aratoires, des semences, des récoltes en magasin, manquait un peu moins, parce qu’il est plus impossible de s’en passer. La quantité du gros bétail était presque suffisante à cause