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Giacomo avec bonhomie, et, pour vous punir de l’indiscrétion de votre langue, qui s’exerce si souvent à mes dépens, je ne vous dirai pas un secret qui vous concerne et qui m’a été confié par un beau jeune homme de Bassano.

— Ah ! vous voulez détourner la conversation en excitant ma curiosité féminine, répondit Zina un peu intriguée; mais vous n’y parviendrez pas, dottor mio. Tenez, je vous offre la paix, si vous voulez nous chanter une belle canzonetta bien longue, et que nous puissions retenir pour vous faire honneur.

— Non, non, répliquèrent les autres jeunes filles, contez-nous plutôt une belle histoire d’amour, une histoire qui ne se trouve pas dans les épîtres de saint Pierre et de saint Paul.

À ces mots, Giacomo éprouva une joie secrète qu’il ne sut pas contenir. Il était ravi qu’on lui offrît l’occasion de faire briller sa faconde et de tirer de sa mémoire un de ces vieux contes qui s’y trouvaient enfouis depuis son enfance. — Que vous raconterai-je ? dit-il d’un air important. Je voudrais trouver un sujet qui fût digne des beaux yeux qui me regardent.

— Pas mal commencé, répondit Zina en riant.

— Ma foi, je vais vous dire une vieille histoire que je tiens du vénérable curé de Cittadella, et qui remonte à je ne sais plus quelle génération. Je désire qu’elle vous intéresse; ce sera une preuve en faveur de mon goût.

— De mieux en mieux, repartit encore l’intarissable Zina; nous vous écoutons toutes, le orecchie spalancate.

Après avoir aspiré une large prise de tabac, Giacomo commença ainsi d’une voix sonore : — Il y avait autrefois un roi...

— Et une reine, sans doute, dit tout bas Zina en se pinçant les lèvres.

— C’est possible, mais l’histoire ne le dit pas. Je le répète, il y avait un roi qui, chassé de sa patrie par un peuple ennemi, vint aborder les côtes de la mer Adriatique. Heureux d’avoir échappé à l’inconstance de la fortune et à celle des flots, ce roi s’avança dans les terres de la Vénétie, et vint fonder une ville qui existe encore et que vous connaissez tous, Padoue. Ce prince s’appelait Antoine, et comme c’était un prince pieux et reconnaissant, il fit bâtir une église magnifique en l’honneur de son patron. C’est depuis lors que il Santo de Padoue est vénéré dans toute l’Italie,

A quelque distance de la ville, dans les fermes du roi, il y avait un jeune pâtre d’une figure intéressante, plein de grâce et de modestie. Il était chargé de conduire un nombreux troupeau de chèvres, et il passait sa vie au milieu des forêts sombres et des vastes prairies. Lorsque la solitude pesait trop à son cœur, il détachait une