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des mâles sentimens de l’héroïsme contre le sentiment féminin coulant à pleins bords dans le culte nouveau. Ce qui exaspère en effet ces vieux représentans de la société celtique, c’est le triomphe exclusif de l’esprit pacifique, ce sont ces hommes vêtus de lin et chantant des psaumes, dont la voix est triste, qui prêchent le jeûne et ne connaissent plus les héros. L’antipathie que le peuple armoricain attribue aux nains et aux korigans contre le christianisme tient également au souvenir d’une opposition que rencontra l’Évangile à ses débuts. Les korigans, en effet, sont pour le paysan breton de grandes prmcesses qui ne voulurent pas accepter le christianisme quand les apôtres vinrent en Bretagne[1]. Elles haïssent le clergé et les églises ; les cloches les font fuir. La Vierge surtout est leur grande ennemie ; c’est elle qui les a chassées des fontaines, et le samedi, jour qui lui est consacré, quiconque les regarde peignant leurs cheveux ou comptant leur trésor, est sûr de périr. Les nains aussi n’aiment ni le samedi ni le dimanche : ces jours-là, on les voit commettre des actes obscènes au pied des croix, et danser dans les carrefours des chemins en se tenant par la main.

À part cette répulsion que la mansuétude chrétienne eut à vaincre dans les classes de la société qui se voyaient amoindries par l’ordre nouveau, on peut dire que la douceur de mœurs et l’exquise sensibilité des races celtiques, jointes à l’absence d’une religion antérieure fortement organisée, les prédestinaient au christianisme. Le christianisme en effet, s’adressant de préférence aux sentimens humbles de la nature humaine, trouvait ici des disciples admirablement préparés ; aucune race n’a si délicatement compris le charme de la petitesse ; aucune n’a placé l’être simple, l’innocent, plus près de Dieu. Aussi est-ce merveille comme la religion nouvelle prit facilement possession de ces peuples. À peine la Bretagne et l’Irlande réunies comptent-elles deux ou trois martyrs ; elles sont réduites à vénérer comme tels leurs compatriotes tués dans les invasions anglo-saxonnes et danoises. Ici apparaît dans tout son jour la profonde différence qui sépare la race celtique de la race germanique. Les Germains ne reçurent le christianisme que tard et malgré eux, par calcul ou par force, après une sanglante résistance et avec de terribles soulèvemens. Le christianisme en effet était par plusieurs côtés antipathique à leur nature, et l’on conçoit les regrets des germanistes purs, qui aujourd’hui encore reprochent au christianisme de leur avoir gâté leurs mâles ancêtres. Il n’en fut pas de même chez les peuples celtiques ; cette douce petite race était naturellement chrétienne. Loin de les altérer et de leur enlever quelques-unes de leurs qualités,

  1. La Villemarqué, Chants populaires, introduction.