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morique n’y est représentée que par Hoël, personnage secondaire de la cour d’Arthur. Comment d’ailleurs, si l’Armorique avait vu naître le cycle arthurien, n’y trouverait-on pas quelque souvenir de cette brillante éclosion ? M. de La Villemarqué, je le sais, en appelle à des chants populaires encore vivans en Bretagne, et où Arthur serait célébré. En effet, on peut lire dans ses Chants populaires de la Bretagne un ou deux morceaux où figure le nom de ce héros ; mais c’est ici un des exemples qui montrent avec combien de précautions il convient de se servir du recueil, si précieux d’ailleurs, publié par M. de La Villemarqué. Il est évident en effet qpie, pour admettre un résultat aussi peu attendu, il faudrait un texte d’une certitude complète, absolue. Or le début et la fin du principal morceau sur lequel on s’appuie sont notoirement du temps de la chouannerie[1]. M. de La Villemarqué lui-même avoue que tout ce chant est éniginatique et presque inintelligible. Le vieux chouan qui le lui récitait, et qui n’y comprenait rien, savait-il bien ce qu’il disait ? Le nom d’Arthur n’était-il pas un de ceux qu’il estropiait ? L’oreille de M. de La Villemarqué ne s’est-elle pas prêtée complaisamraent à entendre le nom qu’il désirait ? C’est du moins une base bien fragile pour asseoir une hypothèse aussi hardie, qu’un chant répété pendant mille ans par des paysans qui ne le comprennent pas. Le parti pris de ne voir dans la littérature galloise qu’un reflet décoloré de la littérature des Bretons d’Armorique a ici entraîné M. de La Villemarqué dans quelques exagérations.

C’est donc au pays de Galles qu’il faut restituer dans la race celtique l’initiative de la création romanesque. Là est vraiment le centre de l’originalité des peuples bretons ; là seulement leur génie est arrivé à se fixer en des œuvres authentiques et achevées. C’est ce qui apparaîtra plus clairement encore, si nous jetons un coup d’œil sur la littérature bardique et ecclésiastique de la Cambrie, et si, après avoir fait connaître ses conteurs, nous étudions ses poètes et ses saints.


IV.


Quand on cherche à déterminer dans l’histoire des races celtiques le moment précis où il faut se placer pour apprécier l’ensemble de leur génie, on se trouve nécessairement ramené au vie siècle de notre ère. Les races ont presque toujours ainsi une heure prédestinée, où, passant de la naïveté à la réflexion, elles déploient pour la première fois au soleil tous les trésors de leur nature, jusque-là cachés dans

  1. Voir Chants populaires de la Bretagne, t. 1er p. 83 (1846.)